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Le régime alimentaire des raies

Les raies sont régulièrement capturées en tant que prises accessoires dans la pêcherie palangrière à la légine australe (Dissostichus eleginoides) alors que leurs traits d’histoire de vie (croissance lente, maturité tardive) les rendent particulièrement vulnérables à une mortalité accrue. L’acquisition de connaissances sur l’écologie des raies est donc essentielle pour évaluer l’impact de la pression de pêche sur les populations de raies. Une équipe du laboratoire Biologie des Organismes et Ecosystèmes Aquatiques (BOREA) s'y est donc intéressé.

L’étude de contenus stomacaux fournit des informations sur la diversité spécifique, l’abondance et l’occurrence des proies consommées par des prédateurs. De plus, les analyses isotopiques sur les tissus sont généralement utilisées en complément pour obtenir des informations sur les relations prédateurs-proies et l’utilisation des ressources dans l’écosystème. En écologie marine, la signature isotopique en carbone (δ13C) renseigne sur la source de production primaire (photosynthèse ou matière organique) qui informe sur l’habitat, et la signature isotopique en azote (δ15N) indique la position du prédateur dans la chaîne alimentaire.

À Kerguelen, deux espèces de raies sont principalement capturées, Bathyraja eatonii et B. irrasa. Des estomacs et des tissus ont été prélevés pendant 3 marées en 2020 et 2021 à bord des navires « Ile de la Réunion II » et « Cap Kersaint » dans le cadre des Plans de Campagnes Expérimentales. Les estomacs ont été analysés en laboratoire grâce à l’aide d’Yves Cherel (spécialiste du régime alimentaire au CNRS de Chizé). Le contenu des estomacs a été pesé et trié en plusieurs catégories puis identifié à l’espèce principalement grâce aux pièces dures (becs de céphalopodes, otolithes de poissons et exosquelette des crustacés). Les échantillons de tissus associés ont, quant à eux, été analysés (pour les isotopes) au Pôle Spectrométrie Océan (Plouzané).

90 estomacs de B. eatonii et 91 de B. irrasa ont été analysés comptabilisant plus de 1015 proies identifiées provenant de 57 espèces différentes. Cette grande diversité de proies montre que les deux espèces peuvent être considérées comme des prédateurs généralistes avec des régimes alimentaires principalement constitués de crustacés, poissons et annélides.

Figure 1: Localisation des captures de raies (en gris) et des échantillons collectés Bathyraja eatonii (en bleu) B. irrasa (en jaune). Les isobathes 500, 1,000 and 2,000 m sont indiqués.

 

Figure 1: Localisation des captures de raies (en gris) et des échantillons collectés Bathyraja eatonii (en bleu) B. irrasa (en jaune). Les isobathes 500, 1,000 and 2,000 m sont indiqués.

Peu d'études ont été menées sur l'écologie alimentaire de la légine à Kerguelen, mais dans d'autres zones de l'Océan austral il a été montré que cette espèce se nourrit de poissons tels que les Myctophidés, les
céphalopodes, les crustacés et les annélides polychètes. Les valeurs isotopiques des raies apparaissent inférieures à celle de la légine qui pourrait être un des seuls prédateurs de raies sur le plateau de Kerguelen. La diminution d’abondance de l’une de ces espèces pourrait donc avoir des répercussions sur l’autre.

Enfin, nos résultats pourront être utiles pour évaluer les potentielles améliorations techniques pour réduire la capturabilité des raies. Par exemple, les avançons flottants, actuellement en test en Australie, décollent les ha-
meçons du fond et pourraient permettre aux raies totalement benthiques, comme B. irrasa, de les éviter.


Faure, J., Gasco, N., Bonillo, C., Munaron, J. M., Cherel, Y., & Péron, C. (2023). Feeding ecology of two deep-sea skates bycaught on demersal longlines off Kerguelen Islands, Southern Indian Ocean. Deep Sea Research Part I: Oceanographic Research Papers, 103980