Comment deux structures cellulaires s’allient pour donner le feu vert à la dissémination tumorale ?
Les mécanismes de la dissémination tumorale recèlent encore de nombreux secrets. Dans le cadre de l’étude des processus métastatiques, les chercheurs de l’Institut Curie, de l’Inserm et du CNRS ont identifié pour la première fois des interrelations dynamiques spécifiques aux cellules tumorales impliquant deux structures : les cavéoles et les invadopodes. Publiés dans Nature Cell Biology le 30 octobre 2023, ces résultats ouvrent la voie au développement de nouvelles cibles thérapeutiques pour le traitement des cancers.
Les métastases sont la principale cause de mortalité dans les cancers. A l’Institut Curie, les équipes CNRS et Inserm présentent de nouveaux résultats qui font suite aux précédentes découvertes du Dr Philippe Chavrier, chef d’équipe à l’Institut Curie et directeur de recherche au CNRS (l'unité de Biologie Cellulaire et Cancer), sur le rôle majeur d’une structure cellulaire appelée « invadopode » dans une des étapes du processus de formation des métastases, la dissémination[1].
Cavéoles et invadopodes : une structure en entraine une autre
"En collaboration avec l’équipe du Dr Christophe Lamaze, directeur de recherche à l’Inserm et chef d’équipe à l’Institut Curie[2], nous cherchions, à l’origine à comprendre le rôle suspecté des invadopodes, ces petites excroissances des cellules tumorales en forme de doigts impliquées dans le processus métastatique, et leur interrelation avec une autre structure cellulaire, les cavéoles. Contrairement aux cavéoles retrouvées dans les cellules saines et cancéreuses, les invadopodes sont uniquement présentes dans les cellules cancéreuses, et nous pressentions qu’elles agissaient de pair", explique le Dr Philippe Chavrier, directeur de recherche au CNRS et chef d’équipe à l’Institut Curie.
Les cavéoles correspondent à des renfoncements (invaginations) de la membrane plasmique d’une cellule où se concentrent des protéines d’adhésion telles que l’intégrine. Elles permettent l’ancrage de la cellule dans son environnement, à savoir les fibres de collagènes qui quadrillent la matrice extracellulaire. La matrice extracellulaire est le milieu dans lequel baigne toutes les cellules du même tissu permettant ainsi la cohésion cellulaire et le maintien tissulaire.
Pedro Monteiro, chercheur postdoctorant à l’Institut Curie et ses collègues de l’équipe Dynamique la membrane et du cytosquelette ont montré que lorsque la cellule devient cancéreuse, c’est à l’endroit du contact entre les fibres de collagène et les intégrines des cavéoles que, comme pour un bouton pression, l’on voit apparaître les invadopodes à leur proximité. On parle donc d’« interrelation » pour décrire l’impact des cavéoles dans l’apparition des invadopodes.
Un binôme en faveur de la dissémination des cellules cancéreuses
Ce sont les cavéoles qui prennent les rênes de l’invasion tumorale. La cellule cancéreuse perçoit la rigidité de son environnement direct, la matrice extracellulaire, grâce à la mécanosensibilité conférée par les cavéoles. Les invadopodes interviennent ensuite en fragilisant la matrice pour entrainer la mobilité cellulaire. On parle alors de la dégradation de la matrice extracellulaire et en particulier des fibres de collagène par les invadopodes. Il en résulte une fragilisation et une dissolution des fibres. L’affaiblissement structurel de la matrice est accentué par une force mécanique produite par les invadopodes qui permet à la cellule tumorale de se frayer un passage dans la matrice extracellulaire, rendant possible le déplacement de la cellule cancéreuse. La transition de l’étape « invasion tumorale » vers la dissémination des cellules cancéreuses s’effectue ainsi. La dissémination aboutit au stade métastatique lorsque les cellules réussissent à se propager dans tout l’organisme et trouvent un ou de nouveaux organes à envahir.
Mieux connaitre les métastases : un espoir thérapeutique contre le cancer
Cette étude est la première à démontrer l’existence de cette interrelation entre les cavéoles et les invadopodes comme conditionnelle à l’affaiblissement des fibres de la matrice extracellulaire environnante de la cellule. Ce processus est décrit par les chercheurs des équipes des Drs Christophe Lamaze et Philippe Chavrier comme décisif pour provoquer la dissémination des cellules cancéreuses.
Si la façon dont dialoguent les cavéoles et les invadopodes reste encore à élucider, cette découverte ouvre des perspectives nouvelles : en ciblant ce mécanisme il serait envisageable de contenir les cellules tumorales et de limiter le processus métastatique. C’est tout l’enjeu de la recherche d’inhibiteur contre la dissémination.
Référence
Pedro Monteiro, David Remy, Eline Lemerle, Fiona Routet, Anne-Sophie Macé, Chloé Guedj, Benoit Ladoux, Stéphane Vassilopoulos, Christophe Lamaze, Philippe Chavrier et al.
A mechanosensitive caveolae-invadosome interplay drives matrix remodelling for cancer cell invasion. Nature Cell Biology (2023) - https://doi.org/10.1038/s41556-023-01272-z
[1] Septembre 2020, Journal of Cell Biology (Protrudin-mediated ER–endosome contact sites promote MT1-MMP exocytosis and cell invasion), à lire sur curie.fr : Invadopodes : comment une cellule tumorale devient invasive | Institut Curie
[2] Equipe Mécanique et Dynamique Membranaires de la Signalisation Intracellulaire - Chimie et Biologie de la Cellule - UMR3666 / U1143 – CNRS/INSERM/Institut Curie