Confiner les excitons pour mieux les entendre
Maxime Fuchs, Sorbonne Université
Que ce soit pour scander un message de propagande politique ou simplement pour annoncer que le propriétaire de la voiture jaune poussin stationnée au mauvais endroit est prié de la déplacer, monter sur scène pour transmettre un message ne veut pas nécessairement dire que le message sera retenu ni même entendu. Mes travaux de thèse sur les nanocristaux de semiconducteurs m’ont donné l’occasion de rencontrer l’exciton, un de ces orateurs dont il est difficile de capter le message.
Par une fraîche matinée d’octobre 2017, j’ai commencé ma thèse, et mon exploration du monde microscopique des semiconducteurs. Il faut savoir que les électrons qui composent les semiconducteurs sont très bien là où ils sont. Ils ne demandent qu’à y rester. Si on ne leur donne pas un peu d’énergie, ils ne bougeront pas et le matériau restera isolant. En revanche, lorsqu’on les excite, avec de la chaleur ou de la lumière par exemple, ils deviennent capables de se déplacer : le matériau est alors conducteur.
Seulement voilà : un électron qui se déplace laisse un « trou » derrière lui. Et puisque l’électron est chargé « moins », pour que le semiconducteur reste globalement neutre, le trou porte, lui, une charge « plus ». Ces deux charges opposées s’attirent et entraînent le binôme électron-trou dans un véritable tango. Liés l’un à l’autre, ils se comportent comme s’ils ne formaient qu’une seule particule (on parle alors d’une « quasi-particule ») que l’on appelle « exciton ».
L’exciton est un acteur majeur de certaines propriétés fascinantes des semiconducteurs. Le problème c’est qu’il est timide et qu’il gère très mal le trac, et, lorsqu’on a réussi à le faire monter sur scène, il n’y reste vraiment pas longtemps : pas plus de quelques nanosecondes, soit 0,000000001 seconde. Mieux vaut donc ne pas être en retard pour son discours ! Passé cette « durée de vie », l’attraction entre le trou et l’électron finit par les rassembler : l’exciton disparaît et le semiconducteur rend l’énergie qu’il avait absorbée pour retourner à son état initial, appelé « état fondamental ».
Confinement chez les excitons
Pour augmenter les chances d’observer un exciton, une solution est de le « confiner » dans un cristal de semiconducteur de moins de 10 nanomètres de diamètre.
Si je suis allé rencontrer cette quasi-particule, ce n’est pas pour étudier sa timidité, ni les jolies couleurs qu’elle donne aux nanocristaux, mais bien parce qu’elle a des choses à dire. L’exciton est porteur d’une information qu’on appelle « le spin » que lui confèrent ses deux composants, l’électron et le trou. Le spin est une propriété de certaines particules – au même titre que la masse ou la charge électrique – qui interagit avec les champs magnétiques. Le spin est généralement représenté comme l’aiguille d’une boussole qui peut être orientée de 2 façons : soit vers le haut, soit vers le bas (par convention +½ et -½ pour le spin de l’électron, par exemple).
Certains matériaux contiennent une très grande quantité de spins. Lorsque la grande majorité est orientée dans la même direction, alors la multitude de champs magnétiques microscopiques s’additionnent et forment un champ magnétique globale assez fort pour être mesuré à l’échelle macroscopique : c’est un aimant.
En tant que chercheur, quand j’assiste à une de ses représentations, je prête particulièrement attention au spin de l’exciton et à comment il transmet cette information à son public. En effet, à l’instar des masses et des charges, les spins des particules interagissent entre eux. Par exemple, lorsqu’un exciton se forme suffisamment proche de certains métaux tels que le manganèse ou le cobalt lorsqu’ils sont porteurs de spin (Mn2+, Co2+), les spins de l’exciton et celui du métal vont spontanément interagir et s’orienter l’un par rapport à l’autre, ce qui modifie leur façon de réagir aux champs magnétiques. Cette interaction est la façon dont l’exciton transmet l’information à son public.
Cela implique que si le public ne porte pas de spin, il ne peut pas recevoir l’information de l’exciton et, malheureusement, les semiconducteurs sont rarement composés d’éléments porteurs de spin…
Mais qui se souviendra de ce que l’exciton a à dire ?
Pas de panique. Une façon de modifier les propriétés de conduction des semiconducteurs est de les doper, c’est-à-dire de remplacer certains atomes qui composent normalement le matériau par des atomes d’un élément plus exotique du tableau périodique. Et pourquoi ne pas choisir cet « élément dopant » parmi ceux qui portent un spin ? En 2014, l’équipe du Dr Pacuski à l’Université de Varsovie a confirmé que cette méthode permet bien d’observer une communication, « un couplage », entre l’exciton et différents métaux porteurs de spins utilisés comme dopants. Pour résumer, on a un nanocristal de semiconducteur dans lequel se trouvent dispersés quelques atomes porteurs de spin. Lorsque l’on illumine le nanocristal, on lui donne l’énergie pour qu’à l’intérieur se forme l’exciton. Ce dernier est toujours aussi timide et ne reste pas très longtemps avant de se recombiner mais tout de même suffisamment longtemps pour qu’une interaction ait lieu entre son spin et ceux des dopants qui l’entourent.
Victoire ! Notre artiste timide apparaît sous le feu des projecteurs et des membres du public sont invités à monter sur scène pour mieux voir et retenir le message transmis par l’exciton. Il reste maintenant des témoins pour retenir l’information après extinction des feux, et la transmettre plus largement. Mais ce n’est pas tout…
Il est possible d’augmenter le « taux de dopage » des semiconducteurs et donc d’augmenter le nombre de spins qui réagissent à la présence de l’exciton. Puisque ces spins de dopants s’orientent par rapport à celui d’un seul et même spin (celui de l’exciton), ils se retrouvent tous alignés dans la même direction et créent donc une zone d’aimantation tout autour de l’exciton, appelé « polaron magnétique ».
Le message de l’exciton est maintenant entendu, retenu et même amplifié. Mieux encore : chaque nanocristal dans lequel est formé un exciton peut maintenant être porteur d’une information magnétique, sous la forme du polaron magnétique, pour peu qu’il soit éclairé. En alignant des nanocristaux et en éclairant sélectivement certains d’entre eux, on peut donc choisir lesquels seront porteur du polaron (1) et lesquels ne le seront pas (0), et coder l’information sous forme de séquences de 1 et de 0 – des bits d’information. L’objectif serait d’obtenir ainsi un système de stockage de l’information numérique plus rapide, puisqu’il serait écrit avec de la lumière plutôt que grâce au courant électrique actuellement utilisé dans les technologies du stockage de l’information, et relativement lent. L’utilisation de la lumière pour transmettre l’information est à la base de la photonique ; avec des spins on parle de « photonique de spin ».
Le bémol et mon rôle
L’idée du dopage fonctionne bien mais, malheureusement, elle ne tient pas dans le temps. En effet, tout comme les spectateurs ne sont pas à l’aise sur la scène, les dopants ne sont pas stables dans les nanocristaux et se déplacent à l’intérieur jusqu’à atteindre la surface et quitter le nanocristal de semiconducteur.
Arrivés ici, certains d’entre vous se sont peut-être demandé quel a été mon rôle finalement ? Et bien, puisque le public (les dopants) ne veut pas rester sur scène (dans le nanocristal), j’ai travaillé à la conception de sièges plus confortables pour qu’il souhaite rester plus longtemps, pour enregistrer et amplifier l’information de l’exciton – en installant les dopants au cœur de structures moléculaires appelées « complexes de coordination », que nous avons commencé à concevoir, produire, et attacher à la surface des nanocristaux comme on installe les spectateurs au premier rang d’une salle de spectacle. Il faudra ensuite s’assurer que l’information est bien transmise et retenue par les spectateurs. Mais pour ça, il va falloir attendre la réouverture des salles de spectacle.
Maxime Fuchs, Docteur en nanomatériaux et chimie de coordination, Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.