Covid-19. Un ver marin au secours des malades. Entretien avec Franck Zal, cofondateur d'Hemarina
Covid-19. Un ver marin au secours des malades. Entretien avec Franck Zal, cofondateur d'Hemarina
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Covid-19. Un ver marin au secours des malades. Entretien avec Franck Zal, cofondateur d'Hemarina

Spin-off de Sorbonne Université et du CNRS, l’entreprise bretonne Hemarina développe depuis des années un transporteur d'oxygène thérapeutique issu de l'hémoglobine d'un ver marin, l’arénicole. Sa molécule Hemo2life pourrait permettre d’améliorer l’oxygénation des malades victimes du syndrome de détresse respiratoire aiguë, caractéristique des cas graves du Covid-19. Docteur en biologie marine de Sorbonne Université, le cofondateur, président et directeur scientifique d’Hemarina, Franck Zal, décrypte les propriétés de cette molécule qui constitue une perspective d'espoir pour les services de réanimation.

. Covid-19. Un ver marin au secours des malades. Entretien avec Franck Zal, cofondateur d'Hemarina

Quel a été votre parcours au sein de Sorbonne Université ?

Franck Zal : Issu d’une famille modeste, je suis très reconnaissant à ce que le système universitaire m’a apporté. J’ai suivi toutes mes études à Sorbonne Université : d’abord en licence et maîtrise de biologie des organismes et populations, puis en DEA et doctorat d’océanographie à la station biologique de Roscoff (Sorbonne Université/CNRS). 

Après un post-doctorat aux États-Unis puis à l’université d'Anvers, j’ai été recruté en tant que chercheur CNRS dans cette même station marine où j’ai dirigé une équipe d'écophysiologie marine jusqu’en 2007.

Franck Zal

Franck Zal © Hemarina

Comment avez-vous eu l’idée d’étudier l’hémoglobine de ce ver marin ? 

F. Z. : Durant ma thèse dirigée par le Pr. André Toulmond, je me suis intéressé à la respiration des vers qui colonisaient les milieux marins extrêmes, comme les abysses. Ayant besoin d’un organisme de référence, j’ai commencé à étudier l’arénicole, ce ver présent sous le sable des plages bretonnes. 

Ma question était de savoir comment ce ver, vieux de 450 millions d'années, était capable de respirer entre la marée haute et la marée basse. Une question relevant de la pure recherche fondamentale qui m'a permis de trouver l'ancêtre de nos globules rouges : une hémoglobine extracellulaire très semblable à l'hémoglobine humaine.

Quelles sont les propriétés de cette hémoglobine ?

F. Z. : L’hémoglobine de ce ver est quarante fois plus oxygénante que l’hémoglobine humaine présente dans les globules rouges et dont le rôle est de transporter l’oxygène. Fonctionnant sur une large plage de température (de 4°C à 37°C), elle est aussi 250 fois plus petite qu'un globule rouge, ce qui lui permet de passer dans des endroits où la circulation est réduite. Enfin, n’ayant pas de typage sanguin, elle est universelle et donc compatible avec tous les groupes sanguins.

Comment êtes-vous passé de la recherche fondamentale à la création d’applications médicales ?

F. Z. : Après plusieurs années à étudier les propriétés de cette hémoglobine, à tester son innocuité et son efficacité, j’ai pensé qu’elle pourrait peut-être être utilisée comme transporteur d'oxygène thérapeutique. En 2007, j’ai quitté le CNRS pour me lancer dans la création de mon entreprise : Hemarina. Un projet pour lequel Jean-Charles Pomerol, ancien président de l’UPMC, m’a largement soutenu. J’ai alors commencé à réfléchir aux différentes applications médicales possibles de cette molécule. Cette aventure entrepreneuriale m’a permis de mettre à profit mon intérêt pour la transversalité disciplinaire. Une dimension essentielle dans l’innovation. 

Pour quelles applications médicales ce transporteur d’oxygène thérapeutique peut-il être utilisé ?

F. Z. : Cette molécule a déjà été testée avec succès lors de greffes de rein et de la greffe totale du visage réalisée en 2018 par le professeur Lantieri à l’hôpital européen Georges Pompidou. Elle a permis d’oxygéner les greffons avant leur transplantation et ainsi de mieux les conserver. 
Les applications d’Hemo2life sont multiples. Elle peut être utilisée partout où l’oxygène intervient et potentiellement à tous les niveaux du vivant (cellule, tissus, organe et organisme). De ce fait, toutes les pathologies ischémiques (présentant un déficit en oxygène), comme l’infarctus du myocarde ou les accidents vasculaires cérébraux, sont des voies de développement potentielles.

Nous avons également développé des pansements oxygénants pour soigner des plaies hypoxiques chroniques, comme par exemple des ulcères du pied diabétique, des escarres… ou autres plaies pour lesquelles il n’existe aujourd’hui aucune solution satisfaisante. 

L’agence nationale du médicament et des produits de santé et le comité de protection des personnes ont donné leur feu vert pour démarrer un essai clinique consistant à administrer cette molécule à dix malades du Covid-19. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

F. Z. : Avec les médecins de deux hôpitaux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, la Pitié-Salpêtrière et Georges-Pompidou, nous avons mis au point un protocole pour utiliser cette molécule comme un « respirateur moléculaire ». L’objectif est de soulager les patients affectés par le syndrome de détresse respiratoire aiguë provoqué dans les cas graves de Covid-19. Ces patients peuvent perdre jusqu’à 70% de leur capacité d’échanges respiratoires entre l’air et le sang. 

Une fois injectée par voie intraveineuse, cette molécule va pouvoir libérer son oxygène et passer là où même un globule rouge ne passe pas. Il s’agit de tenter d’éviter, que les patients arrivent trop vite en réanimation et qu’ils ne s'asphyxient par manque d'oxygène dans le sang.

Nous voudrions que les données de cet essai soient publiées et ouvertes à la communauté internationale.

Si l’essai se révèle concluant, de combien de doses disposez-vous ? 

F. Z. : Nous possédons notre propre ferme d'élevage de vers marins en Vendée. Nous avons 5 000 doses immédiatement disponibles. Si l’essai clinique donne des résultats positifs, nous avons la capacité d'en produire 15 000 à 20 000 autres assez rapidement. 
Pionniers dans ce domaine, nous avons déjà été contactés par d’autres pays comme l’Inde et l’Égypte.

AP-HP : l’essai MONACO évalue la tolérance de la solution issue du sang de ver marin administrée chez des patients ayant un syndrome de détresse respiratoire aigu lié au Covid-19

Après un avis favorable de l’ANSM le 27 mars et l’accord d’un comité de protection des personnes (CPP) le 3 avril 2020, l’AP-HP lance l’essai MONACO (M101 OxygeNAtion COvid) . Coordonné par le Pr Bernard Cholley, chef du service d’anesthésie réanimation de l’hôpital européen Georges-Pompidou, celui-ci est destiné à évaluer la tolérance de l’utilisation du transporteur d’oxygène issu de l’hémoglobine de ver marin chez des patients covid+ dont l’état est très grave, en insuffisance respiratoire aiguë réfractaire, sous ventilation mécanique et non éligibles à l'oxygénation extracorporelle par ECMO (extra-corporal membrane oxygenation).

Promoteur de l'essai, l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris travaille en coopération avec la société Hemarina. L’essai sera réalisé dans trois services de réanimation de l’AP-HP, celui du Pr Bernard Cholley à l'hôpital européen Georges-Pompidou ainsi que les services des Pr Alain Combes et Jean-Michel Constantin à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.



Parution

Un trésor sous le sable

Par Franck Zal, Elena Sender & Robert Thibierge

Le chercheur français qui révolutionne la médecine