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Étudier la solidification dans l’espace, loin des perturbations terrestres

Comment observer le phénomène de solidification de microstructures sans fausser l’analyse à cause des perturbations terrestres ? Des membres de l’INSP ont conçu un instrument de solidification, qui a été développé par l’ESA (European Space Agency), puis transporté dans l’ISS. Il a permis d’étudier la dynamique de croissance de microstructures composites hybrides lamelles-fibres en temps réel. La micropesanteur de la station spatiale a ainsi évité les perturbations dues, sur Terre, à la convection dans le liquide. L’expérience est reportée dans un article en anglais de la revue Scripta Materialia.

Pendant la solidification, un mélange liquide suffisamment refroidi passe à l’état de solide cristallin. Ce processus naturel, qui provoque notamment le gel des lacs en hiver, est une étape importante de procédés d’élaboration d’alliages de métaux, d’oxydes ou de sels. Le phénomène d’intérêt central est la formation des microstructures de solidification, modulations de composition et mélanges de cristaux qui apparaissent à des échelles micrométriques sous le seul effet du refroidissement. Leur maîtrise, un enjeu clé pour l’optimisation des propriétés de matériaux industriels, butte sur le caractère difficilement prédictible du phénomène. La solidification se produit par propagation de l’interface entre le solide et le liquide de compositions différentes. Par couplage de cette dynamique d’interface avec le champ de diffusion des espèces chimiques dans le liquide, des instabilités de forme se produisent. Les microstructures sont une trace figée en volume de cette croissance cristalline gouvernée par la diffusion, dont la complexité (sensibilité à la géométrie et aux conditions initiales) pose des questions de fond en science des matériaux et en physique de l’auto-organisation hors équilibre.

Un instrument destiné à plusieurs types d’expériences en micropesanteur

La méthode DIRSOL de l’INSP permet d’observer l’interface solide-liquide in situ, en temps réel par vidéo-microscopie longue-distance, en solidification directionnelle (dans un gradient de température) d’alliages transparents modèles qui se solidifient comme les métaux. Avec le soutien du CNES, les chercheurs et chercheuses ont porté un projet de science en micropesanteur en collaboration avec Access e.V. (Aachen, Allemagne). L’intérêt est de s’affranchir des perturbations dues, dans les conditions habituelles de la gravité terrestre, à la convection engendrée dans le liquide par les gradients de densité thermo-solutaux. L’instrument Transparent Alloys de l’Agence spatiale européenne (ESA) installé dans la station orbitale internationale (ISS) a été conçu par transfert de technologie de DIRSOL. Il est utilisé pour plusieurs types de campagnes d’expériences in situ en micropesanteur.

De nouvelles méthodes pour comprendre les dynamiques de transformations

a) Schéma de microstructures eutectiques fibreuse et lamellaire.
b)  Principe de la solidification directionnelle (isothermes inclinées) ; image expérimentale (montrée en perspective) et schéma de la dynamique.
c) Image de la coexistence lamelles-fibres en cours de solidification (dimension horizontale : 1.28 mm). La direction de croissance pointe vers le lecteur. La méthode optique permet de voir comment les deux phases cristallines (l’une apparaît blanche, l’autre noire) croissent simultanément et se distribuent sur la surface du front de solidification.

La question abordée ici est celle de la transition lamelles-fibres en solidification eutectique. Un mélange eutectique se solidifie directement en un matériau composite fait d’une dispersion de cristaux de deux types (phases). La croissance biphasée s’auto-organise en des microstructures de types fibreux ou lamellaires considérées comme exclusives l’une de l’autre. Comment les faire coexister dans un même système ? Une méthode a été mise au point pour étendre un domaine lamellaire stable en contact avec une structure en fibres. On montre ainsi la « métastabilité » dynamique entre deux structures de topologie différente, interdisant une transition continue de l’une à l’autre. Des informations inédites sur le mode (de type Rayleigh-Plateau) de transformation ont été obtenues. Des simulations numériques apporteront des éléments de réponse à des questions en suspens (lois d’échelles ; sélection morphologique). On ouvre aussi une piste vers la production de microstructures mixtes architecturées.

 

Contact

Sabine Bottin-Rousseau

Professeure, Sorbonne Université

Silvère Akamatsu

Directeur de recherche, CNRS