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Eveiller les papilles

Comment notre langue est-elle capable d'identifier d'infimes variations de texture ? Les équipes du Laboratoire Jean Perrin proposent, dans un article publié dans PNAS et basé sur une approche biomimétique, des éléments de réponse. Cette perception reposerait sur la mesure des fluctuations produites par le contact entre les particules et les papilles présentes sur la surface de la langue.

Chez la plupart des animaux et des micro-organismes, les sens de l'ouïe et du toucher impliquent des protubérances cellulaires allongées appelées cils. Sous l’effet de l’écoulement d’un fluide, ces cils fléchissent et peuvent déclencher la réponse neuronale de cellules nerveuses mécanosensibles enfouies proche de leur base. Mais avant tout traitement neuronal, les propriétés mécaniques du cil constituent un premier encodage de l’information perceptive. L’amplitude de flexion d’un cil sous l’écoulement d’un liquide homogène permet par exemple une mesure directe de la viscosité de ce liquide. Dans les habitats naturels cependant, le liquide environnant n’est généralement pas homogène, à cause de la présence de particules ou d’autres micro-organismes aux alentours. Les cils pourraient-ils être utilisés pour détecter la présence, la concentration et la taille des particules environnantes ?

Un exemple concret et appliqué de ce problème, qui a motivé ce travail, est celui de la perception de texture de liquides alimentaires en bouche, par le système langue/palais. L’humain est en effet capable de détecter de fines variations de texture, comme par exemple une variation de quelques pourcents de la concentration de petites particules solides, ou de gouttelettes de gras dans un produit alimentaire. Ces variations de texture ne sont pas bien détectées par les meilleurs appareils commerciaux (rhéomètre, texturomètre, etc.), mais elles le sont par les consommateurs. Une hypothèse pour expliquer cette remarquable sensibilité repose sur la présence de myriades de papilles filiformes (des structures ciliées, de quelques dixièmes de millimètres de long et quelques centièmes de millimètres de large) sur la surface de la langue. Des cellules nerveuses mécanosensibles ont en effet été récemment identifiées en base de ces papilles. Quelle est donc la réponse mécanique des papilles filiformes lorsqu’un liquide alimentaire est absorbé ?

En collaboration avec des chercheurs du groupe Nestlé, nous avons abordé cette question en utilisant un cil artificiel en élastomère, ancré à sa base, et soumis à l’écoulement de suspensions granulaires. En combinant des expériences d'imagerie et de la modélisation physique, nous avons montré que la concentration de particules et leur taille est encodée par les fluctuations de flexion du cil et que celles-ci résultent principalement d’interactions de contact entre les particules et le cil. Nos résultats suggèrent que les cils biologiques (et en particulier les papilles filiformes) pourraient détecter des particules aussi petites que leur diamètre. Ces résultats offrent un cadre théorique général pour décrire la dynamique de structures ciliés dans des milieux hétérogènes. Le mécanisme de détection de particules que nous proposons reste à être validé sur des systèmes biologiques réels, par exemple par des mesures de micro-neurographie.

Article publié dans PNAS le 3 août 2021 : "A bending fluctuation-based mechanism for particle detection by ciliated structures"

Auteurs : Jean-Baptiste THOMAZO, Benjamin LE REVEREND, Léa-Lætitia PONTANI, Alexis PREVOST, Elie WANDERSMAN

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Elie Wandersman
Maître de Conférence, Sorbonne Université, Laboratoire Jean Perrin