Images de science : Un cyclone dans la nuit
Cette image a été prise le matin du 30 août 2018 par l’instrument VIIRS du satellite américain Suomi-NPP depuis son orbite à 824 kilomètres d’altitude, deux fois plus loin de la Terre que la station spatiale internationale. Une image magnifique, exceptionnelle à plus d’un titre.
C’est d’abord une image satellite prise de nuit, par un capteur nyctalope capable de voir la terre et son atmosphère de nuit avec une précision de quelques centaines de mètres seulement, une véritable prouesse technologique. Aux lumières nocturnes des villes soulignant les côtes américaines se superpose un amas de nuages, en forme de spirale : c’est l’ouragan Ida quelques heures après qu’il a touché la Louisiane. Il s’agit d’un monstre météorologique, d’un événement extrême et exceptionnel dont les chercheurs n’ont pas encore percé tous les secrets.
Chaque année, à la fin du mois d’août, la saison des ouragans bat son plein : en cette fin d’été boréal, les océans atteignent leurs températures les plus chaudes de l’année, une manne pour les ouragans qui puisent leur énergie destructrice dans les eaux chaudes de surface. Le golfe du Mexique et ses eaux pouvant atteindre les 30 °C sont particulièrement propices à l’intensification des ouragans. Le tristement célèbre ouragan Katrina en 2005 et l’ouragan Ida se sont tous deux violemment intensifiés grâce à la chaleur et à l’humidité des eaux du golfe : après s’être engouffrés par le détroit de Floride (Katrina) ou par la mer des Caraïbes (Ida), ils sont devenus en quelques heures des ouragans majeurs. Katrina a atteint la catégorie 5 sur l’échelle de Saffir-Simpson avec des vents soufflant à 280 km/h – soit seulement 40 km/h de plus que les vents de l’ouragan Ida, affublé de la catégorie 4.
Que voit l’œil d’un chercheur sur cette image ?
Sur cette image, l’enroulement nuageux est le seul témoin de la présence de l’ouragan Ida proprement dit. Il s’étend sur plusieurs centaines de kilomètres et son épaisseur est d’une quinzaine de kilomètres. Sur l’image, les nuages les plus épais et sous lesquels les pluies sont les plus intenses correspondent aux zones les plus blanches. L’enroulement dans le sens inverse des aiguilles d’une montre est caractéristique des cyclones de l’hémisphère Nord ; son sens change avec l’hémisphère.
On ne distingue pas ici de région centrale dénuée de nuages, signature du fameux « œil du cyclone » souvent visible sur les images satellites de cyclone. L’absence d’œil est le signe du déclin de l’ouragan. Son arrivée sur les côtes de Louisiane a signé en quelque sorte son arrêt de mort. Une fois à l’intérieur des terres, sans source d’énergie, les vents ralentissent et les pluies faiblissent. Il est alors rétrogradé au rang de tempête tropicale puis de simple dépression ; il achèvera sa route quelques jours plus tard, après avoir parcouru quelques milliers de kilomètres vers le Nord.
L’arrivée d’Ida sur les terres de Louisiane a provoqué des dégâts considérables. Très peu d’infrastructures résistent aux vents violents et surtout aux inondations provoquées par les vagues soulevées par l’ouragan et par ses pluies torrentielles. Sur cette image nocturne, les seuls dégâts visibles sont les coupures d’électricité provoquées par le passage d’Ida ; une comparaison avec une photo prise quelques jours plus tôt suffirait à identifier les pannes électriques. On comprend ici comment ce type d’images satellite peut constituer un support logistique de taille face aux catastrophes naturelles qui nous menacent.
Des informations pour les chercheurs
Au-delà de ces considérations logistiques, ces images satellite constituent également une mine d’informations pour les chercheurs puisqu’elles leur donnent accès à tous les cyclones tropicaux de la planète en temps quasi réel. Leur géométrie, leurs dimensions, la vitesse de leurs vents (des algorithmes permettent en effet de déduire la vitesse des vents à partir d’images satellites) sont autant de données précieuses pour les chercheurs qui travaillent à mieux comprendre les cyclones.
Ces données viennent compléter les données dites in situ, plus rares et plus disparates, acquises par exemple lors des vols de reconnaissance par des avions de la NASA. À l’instar de l’imagerie satellitaire de nuit, la technologie des drones est en train de révolutionner les mesures in situ : il y a quelques semaines, un drone flottant (Saildrone) a pour la première fois filmé la mer déchaînée à l’intérieur d’un ouragan dans l’Atlantique.
Ludivine Oruba, maîtresse de conférences, Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.