« Le vrai risque de la 5G, c’est la sécurité des données »
« Le vrai risque de la 5G, c’est la sécurité des données »
  • Recherche

« Le vrai risque de la 5G, c’est la sécurité des données »

Au cœur de nombreux débats, la 5G va, d’ici quelques années, offrir aux entreprises des perspectives technologiques sans précédent.

Guy Pujolle

Mais elle soulève également des questions en termes de santé, d’écologie et de protection des données privées. Le professeur émérite, Guy Pujolle, spécialiste des réseaux au laboratoire d’informatique de Sorbonne Université (Lip6), fait le point sur les bénéfices et les risques de ce nouveau standard de communication mobile.

Vous avez publié en septembre dernier Faut-il avoir peur de la 5G ? aux éditions Larousse. Où se situe la rupture technologique de cette cinquième génération de téléphonie mobile ?

Guy Pujolle : Loin d’être complètement opérationnelle, ce que l'on appelle aujourd’hui, de façon abusive, la 5G n'est en fait qu'une toute petite partie du réseau qui sera entièrement déployé dans les quatre prochaines années. Il s’agit de la partie radio (envoi du signal depuis son smartphone à l'antenne) qui n’est pas très différente de la 4G, si ce n’est en termes de débit puisque la 5G sera dix fois plus rapide.

La véritable révolution arrivera en septembre 2021 avec la troisième phase des spécifications de la 5G. Il s 'agit des centres de données. Ces data centers, situés à quelques kilomètres de chaque antenne, vont permettre aux opérateurs de traiter des quantités massives de données et mettre en place de nouvelles applications à destination des entreprises.

Quelles seront les applications de la 5G ?

G. P. : Même s’il va profiter indirectement des augmentations de débit et des innovations, le grand public n’est pas la cible première des applications de la 5G. Cette nouvelle technologie vise d’abord à numériser et automatiser les entreprises et les industries.

À partir de 2023-2024, trois grands types d'applications vont être déployées : le très haut débit en mobilité (permettant d’avoir internet et de regarder des vidéos haute définition dans un TGV) ; l'internet des objets (pour connecter des milliards d'objets) ; et les missions critiques. Cette dernière application concerne toutes les opérations qui ont besoin d'un temps de latence très court, de l'ordre d'une milliseconde. C’est le cas par exemple des véhicules autonomes ou des chirurgies à distance. Grâce à la 5G, le praticien va pouvoir opérer un patient en temps réel à distance tout en bénéficiant d’un retour sensoriel sur ce qu’il fait.

La 5G permettra également de passer, dans l’avenir, à l'industrie 4.0, n’est-ce pas ?

G. P. : Absolument. Cette industrie nouvelle génération vise l'automatisation de la fabrication. Dans une dizaine d’années, nous pourrons commander un véhicule en ligne le matin sur notre smartphone. Cette commande sera transmise au centre de données de l'opérateur qui manipulera des machines-outils à distance pour construire automatiquement le véhicule, livrable le soir.

Le déploiement de la 5G soulève de nombreuses inquiétudes quant à son impact sur la santé. Que pensez-vous de sa potentielle dangerosité ?
 
G. P. : Les ondes 5G, de même que les ondes 4G, sont des ondes électromagnétiques, c’est-à-dire des vibrations, comme la parole ou les ondes visuelles. Contrairement aux ultraviolets ou aux rayons X ou gamma, dont les fréquences sont bien plus élevées, ces ondes ne sont pas dangereuses pour les cellules humaines. Elles le deviennent si l’on augmente trop leur intensité, comme un bruit très fort devient douloureux voire néfaste pour l’audition.

C’est pourquoi la puissance des antennes 4G et 5G a été limitée partout dans le monde. Cette limite est relativement basse et correspond à un bruit ténu ou à une lumière faible. Plus de 3000 études ont été réalisées, pour la plupart sur une dizaine d’années, et aucune n’a montré l’existence d’un risque sanitaire lié à ces ondes lorsque les seuils internationaux sont respectés.

Mais les ondes 5G, qui seront de 3,6 Ghz, puis de 26 Ghz, ont une portée plus courte que les ondes 4G. Une antenne aura donc une moins bonne couverture qu’aujourd’hui ?
 
G. P. : Effectivement. Avec des fréquences plus hautes, les antennes 5G portent moins loin que les antennes 4G. Donc si l’on ne peut pas augmenter leur puissance pour les raisons sanitaires que nous venons d’évoquer, il faudra plus d’antennes pour couvrir le même territoire.

Pour améliorer la couverture du réseau, sans avoir à développer de nouvelles antennes, il sera possible, avec la 5G, de créer des « réseaux mesh » grâce aux objets connectés : un objet qui n’est pas couvert par une antenne pourra communiquer avec un autre objet qui communiquera lui-même avec un autre relié à l'antenne, afin de se connecter au réseau.

En augmentant le nombre d’antennes, le débit et les applications, la 5G ne risque-t-elle pas d’accroitre la consommation énergétique ?

G. P. : Il est difficile d'estimer le coût énergétique. La consommation de l’antenne 5G est faible. Elle a été pensée pour pouvoir s’éteindre quand elle n’est pas utilisée et le boitier électronique qui permettait de traiter le signal dans les antennes 4G a été retiré et virtualisé, sous forme de logiciels, dans le centre de données. Ces centres, en revanche, consommeront de l’énergie.

D’après mes calculs, je pense que, pour une utilisation équivalente, la consommation ne devrait pas trop augmenter par rapport à la 4G. Mais les usages risquent effectivement d’exploser.

Avec la 4G, les opérateurs ne stockaient pas les données. Ils vont désormais pouvoir le faire. Et comme les données sont le pétrole du XXIe siècle, ils risquent de vouloir les utiliser pour gagner de l'argent.

Quel autre risque voyez-vous dans le développement de la 5G ?

G. P. : Le vrai risque concerne, selon moi, la sécurité des données. Avec la 4G, les opérateurs ne stockaient pas les données. Ils vont désormais pouvoir le faire. Et comme les données sont le pétrole du XXIe siècle, ils risquent de vouloir les utiliser pour gagner de l'argent.
Même si l’Etat va certainement réguler un certain nombre de choses, cela reste un vrai problème.

Au LIP6, vous travaillez déjà sur la 6G. Que va-t-elle apporter de nouveau ?

G. P. : La 6G, prévue pour 2030, permettra une automatisation complète grâce à une forte utilisation de l’intelligence artificielle. La 6G va généraliser le network slicing déjà en vigueur dans la 5G et sur lequel nous travaillons beaucoup dans notre équipe de recherche. Le network slicing, c’est la possibilité de créer des « tranches » de réseau spécifiques pour différents services. Avec la 5G, il y aura, au départ, trois « tranches » : une pour le haut débit en mobilité, une autre pour connecter les objets et une dernière pour les missions critiques.

Petit à petit, le nombre de ces « slices » va augmenter avec de nombreux nouveaux usages. En passant à la 6G, nous n’aurons plus un réseau par type de service, mais des millions, pour arriver à terme à une slice et une antenne par utilisateur. Mais pour le moment, cela relève de la spéculation. Nous ne savons pas encore si cela sera possible en termes d’échelle.

Faut-il avoir peur de la 5G ?