Les algues vertes : quels risques pour la santé et l'environnement ?
À l’occasion de la sortie du film Les Algues vertes réalisé par Pierre Jolivet, Dominique Davoult, professeur d’océanographie biologique à la station marine de Roscoff nous éclaire sur ces marées vertes qui ravagent chaque année un peu plus les côtes bretonnes.
Directeur adjoint de l’unité mixte de recherche Adaptation & diversité en milieu marin et co-responsable de l'équipe Edyco à la station marine de Roscoff, Dominique Davoult étudie notamment le fonctionnement des écosystèmes où sont produites et récoltées les algues. Rédacteur en chef des Cahiers de biologie marine, il travaille également avec le comité régional des pêches de Bretagne et les syndicats de récoltants pour vérifier que les règles en vigueur permettent une récolte durable de ces végétaux aquatiques.
Dans certaines zones côtières, le développement excessif des algues vertes entraîne des marées vertes. À quoi est due leur prolifération ?
Dominique Davoult : Les algues vertes se développent en raison de la combinaison de trois facteurs principaux : des baies fermées peu profondes où il y a peu de courant, une météo favorable (température clémente et ensoleillement) et la présence en excès de nitrates dans les eaux. Opportunistes, elles ont une capacité à pousser beaucoup plus vite que les autres espèces d'algues dès que ces conditions sont réunies.
Sur certaines plages, elles sont amenées systématiquement par les courants de marées et les tempêtes. Ces endroits où elles échouent et s’accumulent sur les côtes à partir du printemps deviennent invivables en été lorsqu’elles blanchissent et commencent à se décomposer avec le rayonnement solaire et la chaleur.
Quels sont les risques des marées vertes ?
D. D. : Les algues vertes sont un élément essentiel de l'écosystème marin breton. En mai et juin, elles sont mêmes recherchées, comme d’autres algues, pour être récoltées à marée basse et utilisées dans de nombreux domaines industriels, comme la cosmétique ou l’alimentaire.
Mais leur prolifération excessive entraîne des conséquences néfastes pour l'environnement et la santé publique. À l’échelle de la Bretagne, les énormes concentrations d’algues qui se décomposent en été rendent le milieu hostile pour de nombreuses espèces, notamment pour celles qui vivent dans les premiers centimètres sous la surface du sol.
Les marées vertes posent également un problème de santé publique. Si les algues vertes ne sont pas dangereuses pour la santé lorsqu'elles se trouvent en mer ou récemment déposées sur la plage en faible épaisseur, leur décomposition au soleil, en cas d'accumulation importante, produit des gaz dangereux pour l'homme et les animaux.
La putréfaction des algues forme une croûte sous l'effet du soleil, et au bout de 24 à 48 heures par temps chaud, les algues en décomposition fermentent en produisant du sulfure d'hydrogène (H2S), un gaz potentiellement mortel. Les effets aigus de l'inhalation de ce gaz toxique vont d'une simple gêne à un malaise grave, voire à un arrêt cardiaque dans les cas extrêmes. Le risque dépend de la quantité de gaz libérée et de la proximité de la source, notamment pour les animaux et les enfants qui sont plus proches du sol. La mort en 2011 de 36 sangliers présentant un taux élevé d’H2S dans la baie de Saint-Brieuc et d’autres accidents ayant mis en cause les algues vertes ces dernières années ne sont pas une légende bretonne.
Quelles mesures sont mises en place pour limiter ces risques ?
D. D. : Afin de réduire les risques pour la santé, des actions de ramassage systématique des algues échouées sur les plages sont mises en œuvre. Elles sont ensuite stockées dans des dépôts où elles vont sécher avant d’être incinérées. Les algues peuvent aussi être valorisées pour produire de l'énergie grâce à de grands méthaniseurs. Mais c’est une fausse bonne idée car nettoyer les plages avec des tracteurs et ramasser le sable superficiel endommage le milieu naturel et bouleverse l'écosystème. L’autre problème est qu’à partir du moment où on construit d’énormes méthaniseurs alimentés par des algues vertes, on crée un besoin d'algues vertes pour produire du méthane.
Une autre solution moins problématique serait que chaque élevage possède un petit méthaniseur pour produire du méthane et de l’énergie directement à partir du lisier. Cela permettrait d’éviter que les nitrates aillent vers les rivières et les bassins versants et ruissellent vers la mer, mais aussi de valoriser le désagrément engendré par les lisiers.
Comment lutter, à long terme, contre la prolifération de ces algues ?
D. D. : Pour résoudre durablement le problème des marées vertes, il est essentiel de contrôler les facteurs qui favorisent la prolifération des algues, notamment en limitant les apports excessifs de nitrates provenant principalement des rejets des effluents agricoles et des élevages.
En Bretagne, les élevages de porcs et de poulets sont beaucoup plus importants que dans d'autres régions. Même si individuellement les agriculteurs ont commencé à changer leurs pratiques, notamment en limitant la fuite de lisiers dans le sol et les rivières, ils restent prisonniers du système d’agriculture intensive. Il est donc essentiel que l’État s’empare de cette question et que les pratiques vertueuses pour l'environnement soient encouragées. Malheureusement, ce n’est pas évident en raison des conflits d'intérêts qui existent entre le tourisme, la pêche, l'agriculture et la protection de l’environnement.
Combien de temps faudra-t-il pour que ces mesures aient des résultats tangibles ?
D. D. : En supprimant totalement les nitrates qui arrivent en milieu côtier, il faudrait 10 ans au moins pour retrouver une situation normale. Les algues s’auto-entretiennent : en se décomposant, elles libèrent leurs propres nitrates. Même si l’hiver, on a l’impression qu’elles disparaissent, elles restent tapies dans les zones où elles peuvent se développer. Et quand les conditions redeviennent favorables au printemps suivant, elles pousseront encore en quantité même si la concentration en nitrates baisse. Petit à petit, elles régresseront mais il faudra encore des années pour faire disparaitre les marées vertes.