Les coraux stressés par l'exposition aux filtres anti-UV
Des chercheurs ont mis au point une approche unique pour surveiller le stress des coraux exposés à certains filtres contenus dans les crèmes solaires.
Une équipe de chercheurs du Laboratoire de biodiversité et biotechnologies microbiennes et de l’Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer (Sorbonne Université / CNRS) a mis au point une approche unique pour surveiller le stress des coraux exposés à certains filtres contenus dans les crèmes solaires. Parus le 15 juin 2020 dans Scientific Reports, ces nouveaux travaux s’inscrivent dans le prolongement d’une première étude* datant de décembre 2018 et ayant déjà permis de mettre en évidence la toxicité d’un filtre solaire, l’octocrylène, pour les coraux.
Les récifs coralliens connaissent un déclin planétaire sans précédent. Cette baisse est attribuée à plusieurs facteurs anthropiques, notamment le réchauffement climatique, la surpêche et la pollution. Largement utilisés pour la protection cutanée contre le cancer, les filtres solaires sont régulièrement libérés en mer depuis les zones côtières peuplées ou dans les sites dédiés aux activité touristiques dont la baignade. Néanmoins, leurs impacts sur les coraux restent relativement peu étudiés à ce jour.
Dans une première étude parue en décembre 2018 dans la revue Analytical Chemistry, cette équipe de recherche localisée à Banyuls-sur-Mer a montré la toxicité de l’octocrylène (composant très fréquemment utilisé dans l’élaboration des filtres solaires), s’accumulant dans le corail en dérivés d’acides gras, inconnus jusqu’alors, et affectant les fonctions vitales des cellules coralliennes ainsi exposées. D’une durée d’une semaine, le test effectué avait alors permis de mettre en évidence un degré de toxicité à une concentration à peine supérieure à celle mesurée dans des lieux continuellement exposés, tels que les plages. Les résultats de cette première étude notable ont contribué à l’interdiction des crèmes solaires contenant de l’octocrylène aux îles Palaos (Micronésie), entrée en vigueur le 1er janvier 2020.
Un marqueur permettant de mesurer le stress du corail
En poursuivant leurs recherches sur l’espèce corallienne Pocillopora damicornis**, les chercheurs sont parvenus à décrypter les mécanismes mis en jeu dans la sensibilité du corail à trois filtres solaires, à savoir l’octocrylène, la benzophénone-3 et le salicylate d’éthylhexyle. Exposant le corail à ces filtres anti-UV, ils ont constaté une réponse spécifique toujours identique de l’animal lequel secrète un stéroïde dont la concentration varie en fonction de la quantité de polluants libérés. Stressé par l’exposition à ces filtres solaires, le corail répond aux toxines par le biais de cette molécule, qui devient ainsi un marqueur permettant aux chercheurs de quantifier le stress.
Si ces résultats appellent à poursuivre les investigations pour clarifier la réponse des coraux aux polluants émergents, ils interrogent également sur la toxicité des filtres solaires pour l’environnement et l’homme alors que la plupart de ces filtres sont actuellement en réévaluation aux États-Unis. Plus que jamais, cette nouvelle étude alerte la recherche et développement sur la nécessité de remplacer ces composants par des produits aux propriétés similaires, non nocives pour l’environnement, et sensibilise les consommateurs à lire et décrypter davantage la composition des cosmétiques. Plus largement enfin, les auteurs pointent du doigt l’importance d’engager une réflexion sur la mise en place de filières touristiques durables qui altèreraient de moins en moins l’environnement.
*Metabolomics reveal that octocrylene accumulates in Pocillopora damicornis tissues as fatty acid conjugates and triggers coral cells mitochondrial dysfunction, Didier Stien, Fanny Clergeaud, Alice M. S. Rodrigues, Karine Lebaron, Rémi Pillot, Pascal Romans, Sonja Fagervold and Philippe Lebaron, Analytical Chemistry, December 5th 2018.
**Espèce de corail tropicale largement répandue dans le monde.
Référence : A unique approach to monitor stress in coral exposed to emerging pollutants Didier Stien, Marcelino Suzuki, Alice M. S. Rodrigues, Marion Yvin, Fanny Clergeaud, Evane Thorel & Philippe Lebaron, Scientific Reports, June 15th 2020.
https://doi.org/10.1038/s41598-020-66117-3