Les robots rentrent au bloc
Entretien avec Marie-Aude Vitrani
Rares il y a encore 20 ans, les robots chirurgicaux sont, malgré leur coût élevé, de plus en plus présents dans les hôpitaux. Rendant possibles des chirurgies ultra-précises, ils offrent aussi un meilleur confort aux chirurgiens. Maîtresse de conférences en robotique, chercheuse à l’Isir1 et co-directrice de l’Institut universitaire d’ingénierie en santé, Marie-Aude Vitrani participe au développement de ces nouveaux assistants chirurgicaux. Elle nous explique leurs avantages, leurs limites et l’impact qu’ils peuvent avoir sur l’équipe médicale.
Comment la robotique est-elle entrée dans la sphère chirurgicale ?
Marie-Aude Vitrani : Apparus dans les années 80, les premiers robots chirurgicaux sont issus du monde industriel. Sécurisés pour les blocs opératoires, ces bras articulés couplés à un système de navigation servent alors à positionner précisément les instruments en neurochirurgie. Puis dans les années 90, ils sont employés en chirurgie orthopédique qui a l’avantage de s’effectuer sur une matière rigide indéformable : les os.
Par la suite, ingénieurs et chirurgiens essaient de créer des dispositifs robotiques pour intervenir sur les tissus mous, comme les organes cardiaques ou pulmonaires. Mais ces innovations restent encore difficiles à mettre en œuvre aujourd’hui.
L’arrivée de la chirurgie mini-invasive a marqué un tournant dans l’utilisation de ces robots, n’est-ce pas ?
M.-A. V. : La chirurgie mini-invasive, qui s’effectue par de petits orifices, permet de réduire les risques de complications et le temps d’hospitalisation et de récupération pour le patient. Bénéfique pour les malades, ce type de chirurgie est en revanche difficile à pratiquer pour les chirurgiens. Les interventions sont longues, fatigantes et se font dans des postures difficiles à tenir. Ils perdent en confort, passent d’une vision tridimensionnelle à une vision bidimensionnelle et leur mobilité est réduite. A la fin des années 90, les ingénieurs cherchent donc à développer des robots permettant de redonner du confort et de la dextérité aux chirurgiens.
Le robot DaVinci est aujourd’hui le plus célèbre d’entre eux. Que permet-il ?
M.-A. V. : Conçu il y a une vingtaine d’années, ce robot chirurgical est aujourd’hui utilisé dans de nombreux hôpitaux. D’une valeur de plusieurs millions d’euros, il permet pour la première fois aux praticiens d’opérer à distance de leurs patients.
Assis à une console, le chirurgien dirige, par l’intermédiaire de joysticks, la caméra et les instruments articulés greffés sur les quatre bras du robot qui reproduisent les mouvements de la main. Entièrement immergé dans le champ opératoire, le médecin bénéficie d’une vision tridimensionnelle, d’un retour sensoriel, d’une liberté de mouvement ainsi qu’une plus grande dextérité pour réaliser des chirurgies mini-invasives. Si ce robot redonne au chirurgien un geste intuitif semblable à celui de la chirurgie ouverte, il a un inconvénient : le couper du reste de l’équipe médicale.
Vous développez, au sein de l’Isir, de nouveaux types de robot. Quelles sont leurs spécificités ?
M.-A. V. : Dans notre équipe, nous travaillons sur une autre forme de dispositif : des robots co-manipulés. Avec ce type de robots, le chirurgien n'est pas mis à distance de son patient. Il est avec lui au milieu de son équipe. Il utilise les instruments qu'il a l’habitude d’employer. Mais cette fois, ils sont fixés à un bras robotique posé sur la table d’opération. Ce bras va filtrer les tremblements du praticien et lui offrir des aides intuitives pour faciliter sa pratique, comme maintenir une sonde échographique lors d’une biopsie.
De nombreux praticiens hésitent encore à utiliser la chirurgie mini-invasive par manque de pratique régulière, tous les hôpitaux n’étant pas équipés de robots comme DaVinci. Grâce aux outils que nous développons, nous espérons les rassurer et leur offrir un meilleur confort pour ce type d’opération, en compensant la fatigue et en leur assurant un geste plus sûr et plus précis.
Depuis 2009, nous avons développé et testé, avec le professeur d’urologie Pierre Mozer, un dispositif robotique qui a été transféré vers un industriel. Ce dispositif, utilisé au départ pour des biopsies de la prostate, est à l’étude pour servir également pour les biopsies utérines. Nous développons des robots exploitant le même principe de co-manipulation pour la chirurgie digestive et gynécologique.
Vous travaillez avec des chirurgiens. Comment se passe cette collaboration pluridisciplinaire ?
M.-A. V. : Ingénieurs et chirurgiens travaillent main dans la main. J'assiste aux opérations et les chirurgiens viennent dans les laboratoires d’ingénierie. Nous nous voyons régulièrement notamment pour le co-encadrement de doctorants ou d’internes en médecine.
Cette collaboration permet de développer des robots aux fonctions plus avancées adaptées aux besoin des praticiens : compensations de mouvements, diminution des tremblements, meilleure visualisation des instruments, des organes, des cibles à atteindre, etc. C'est la combinaison entre le mouvement du chirurgien et ceux du robot qui améliore les gestes, la posture, etc.
Nous travaillons également avec des anthropologues pour analyser l’impact de ces dispositifs robotiques sur les relations au sein de l'équipe médicale, le rôle de chacun à l’intérieur du bloc, etc. Par exemple, si vous donnez la possibilité au chirurgien de tenir seul son endoscope grâce au robot, il faut réfléchir à la façon de continuer à impliquer l’étudiant qui se chargeait de cette tâche.
L’utilisation de ces nouveaux instruments fait-elle aussi partie de la formation des jeunes médecins ?
M.-A. V. : Notre objectif est de démocratiser la chirurgie mini-invasive en donnant les moyens aux équipes qu'elle devienne la chirurgie standard. Si elle est aujourd'hui la règle dans les grands centres hospitaliers, elle reste encore trop peu utilisée en France.
C’est pourquoi les dispositifs intelligents que nous développons sont aussi pensés pour être utilisés en formation. S’ils assistent les chirurgiens experts, ils permettent également aux novices de s’entraîner et d’être guidés afin de mieux appréhender les gestes chirurgicaux. Nous travaillons d’ailleurs avec la faculté de Médecine à la mise en place d'interventions permettant de sensibiliser et d’initier des médecins, jeunes et moins jeunes, à ces dispositifs.
1Institut des systèmes intelligents et de robotique (Sorbonne Université, CNRS, Inserm)