L’horloge atomique : une technologie quantique en perpétuelle évolution

Thomas Zanon-Willette*, enseignant-chercheur au Laboratoire d'Études du Rayonnement et de la Matière en Astrophysique et Atmosphères (LERMA), a réalisé cet article dans le cadre de la Fête de la Science 2017  à l'UPMC, lors de laquelle il a de plus animé l'atelier "Voyage au coeur de l'horloge atomique".

 

Archive d'une actualité publiée sur physique.sorbonne-universite.fr le 7 octobre 2017.

Depuis la définition de la seconde atomique en 1967, les performances métrologiques des horloges atomiques et des générations suivantes, appelées horloges optiques, n’ont jamais cessé de progresser. Elles conduisent désormais le physicien à observer un effet de la gravité sur l’écoulement du temps sur des distances aussi petites que quelques centimètres mais à réaliser également des tests toujours plus contraignants des modèles de physique fondamentale.

La seconde atomique fête ses 50 ans

« Je profite de la fête de la science pour rappeler aux étudiants de l’UPMC que parmi les unités du SI, la seconde atomique a 50 ans ».

► C’est effectivement en 1967 que la 13ième Conférence Générale des Poids et Mesures (CGPM) décide que : La seconde est la durée exacte de 9 192 631 770 oscillations (ou périodes) de la transition entre les niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de 133Cs (atome au repos à T=0K).

Cet atome est un alcalin, pour le chimiste il se situe dans la première colonne du tableau périodique des éléments chimiques. L’électron célibataire du Cs est sensible au rayonnement hyperfréquence que l’on maîtrise depuis l’invention des radars des années 1940.

Pourquoi choisir cette définition qui donne au physicien et à l’ingénieur l’occasion de reprendre la main sur le temps astronomique ? C’est parce qu’ils conçoivent une sorte de pendule atomique hyperfréquence d’une résolution temporelle exceptionnelle (on parle aussi d’exactitude). La résonance atomique très fine sert de discriminateur qui permet de corriger rapidement et efficacement par un asservissement électronique les écarts en fréquence délivrés par la source électromagnétique excitatrice sur les niveaux d’énergie du 133Cs.

Le tout premier prototype réalisé au National Physical Laboratory (NPL) en 1955 par Louis Essen et Jack Parry affiche une fréquence de 9 192 631 830 ± 10 cycles par seconde soit une erreur de l’ordre de 1s sur 30 ans. Puis une autre mesure effectuée quelques années plus tard donne une fréquence de 9 192 631 770± 20 cycles avec une incertitude limitée principalement par la réalisation de la seconde sur le temps astronomique.

C’est alors décidé ! La seconde des éphémérides est abandonnée au profit de la seconde atomique qui est fixée exactement à la durée de 9 192 631 770 cycles.

Vers une résolution temporelle exceptionnelle : les évolutions technologiques des horloges atomiques

Mais l’histoire de notre pendule atomique ne s’arrête pas là…

La technologie des horloges évolue rapidement et la fréquence dans les années 1990 est équivalente à une erreur de 1s sur 300 000 ans, puis 1s sur 3 millions d'années !

Les applications des techniques de pompage optique et du refroidissement d’atomes par laser développées sous l’impulsion de Alfred Kastler (Prix Nobel de physique 1966) puis de Claude Cohen-Tannoudji (Prix Nobel de physique 1997) au Laboratoire de Spectroscopie Hertzienne (aujourd’hui laboratoire Kastler-Brossel), repoussent alors l’erreur de 1s sur 300 millions d’années avec le dispositif réalisé par André Clairon à l’Observatoire de Paris.

La fontaine atomique est née et s’impose rapidement comme l’étalon primaire du temps-fréquence à travers les instituts internationaux de métrologie.

Les applications sont multiples: prenons simplement l’exemple du positionnement par satellites, avec le GPS et son équivalent européen GALILEO, qui fonctionne avec un ensemble d’horloges atomiques embarquées.  Une erreur temporelle d’un millionième de seconde entraîne déjà une incertitude sur la position de 300 m.

Peut-on alors faire encore mieux et pourquoi faire cela ?

 

Horloge optique à atomes de strontium Sr 87 développée au SYRTE à l'observatoire de Paris (source: Jérôme Lodewyck)

 

 

Les concepts et les méthodes de la physique vous amènent au constat suivant: plus votre pendule oscillera vite, plus la résolution temporelle deviendra meilleure mais la fréquence à interroger plus élevée. Il faut donc remplacer la source hyperfréquence dans le gigahertz par un laser qui émet de la lumière à des fréquences de plusieurs centaines de térahertz. Cela revient à remplacer la technologie du four micro-onde par celle du pointeur laser.

Faire mieux ?

Des horloges optiques sont construites aujourd’hui en utilisant de nouvelles transitions atomiques dans le domaine du visible avec des atomes comme le strontium87Sr, l’ytterbium171Yb ou encore dans le proche ultra-violet avec le mercure199Hg. La comparaison entre deux horloges optiques, en 2015, dans le groupe de Jun Ye au Joint Institute for Laboratory Astrophysics à boulder (JILA) dans le Colorado a montré que la stabilisation de la fréquence d’un laser sur la transition de l’atome de 87Sr est réalisée avec un décalage de seulement 1s sur l’âge de l’univers soit 13,8 milliards d’années !!! La résolution temporelle est telle que cela revient à faire une erreur de positionnement de moins de 1 milliardième de mètre sur la distance Terre-Lune soit environ 10 fois la taille d’un atome.

Des applications inimaginables en physique fondamentale il y a plus de 50 ans

Une horloge atomique réalise ce qui aurait été pratiquement impossible pour Einstein il y a un siècle, c'est-à-dire tester les prédictions de la relativité générale et voir directement l’effet de la gravité sur l’écoulement du temps,

... comme aime à le répéter Daniel Kleppner du Massachusetts Institute of Technology (MIT), physicien américain à l’origine du maser à hydrogène.

Vision artistique de l'influence de la gravité sur l'écoulement du temps (horloge molle de Dali).

Avec les techniques quantiques de manipulation de particules uniques par spectroscopie laser et l’horloge optique réalisée au National Institute of Standards and Technology (NIST) par le groupe de David Wineland (Prix Nobel de physique 2012), l’observation du décalage vers le rouge de la fréquence d’une onde dans un champ de gravitation est devenue possible entre deux horloges seulement séparées de 30 cm d’altitude. Si l’on souhaite un jour réaliser une comparaison de fréquence entre deux dispositifs avec un écart relatif en fréquence meilleur que 10-18, il faudra connaître leurs altitudes respectives à mieux que le cm… ou les envoyer dans l’espace !

Une telle exactitude ouvre désormais la voie à des tests très fins de physique fondamentale comme l’éventuelle variation des constantes fondamentales avec le temps ou plus ambitieux encore la détection des ondes gravitationnelles, non pas avec des interféromètres laser installés sur terre, mais avec des nouvelles générations d’horloges optiques embarquées dans des satellites…

Ces performances métrologiques exceptionnelles seront disséminées par fibre optique au niveau national et même international à d’autres laboratoires de recherche grâce au réseau REFIMEVE+(1). Des équipes de recherche pourront alors réaliser de nouveaux tests fondamentaux extrêmement contraignants, par exemple, en physique moléculaire au Laboratoire de Physique des Lasers (LPL) situé en région parisienne,  ou encore mettre au point de nouveaux spectromètres laser à très haute résolution en fréquence au LERMA sur le campus de l’UPMC pour des applications en sciences atmosphériques.

Vers un nouvel atome étalon de la seconde

Ce qui est sûr, c’est que l’on se retrouve aujourd’hui avec des horloges optiques potentiellement plus exactes que l’étalon primaire au Cs. Il faudra donc un jour abandonner le 133Cs au profit d’un autre atome qui devra alors bénéficier d’un consensus général chez les horlogers, la seconde hyperfréquence disparaitra au profit d’une nouvelle seconde optique.

Cette « révolution quantique » concernera d’ailleurs en 2018 une autre unité du SI, le kilogramme étalon, dont la réalisation ne reposera plus sur un objet matériel mais sera fondée sur la constante de Planck.


(1) REFIMEVE+:  REseau Fibré MEtrologique à Vocation Européenne (Équipement d'Excellence).

Plus d'informations

• Recherche

- Labex FIRST-TF : le réseau d’excellence Temps-Fréquence

- Equipex REFIMEVE+ (REseau FIbré MEtrologique à Vocation Européenne )

- Équipe MMT (Métrologie, Molécules et Tests fondamentaux) du LPL à l’université de Villetaneuse

- Équipe SMILE (Spectroscopie Moléculaire et Instrumentation Laser pour l’Environnement) du LERMA  à l’UPMC

• Diffusion des connaissances

- Visualiser la vidéo: "Les nouveaux maitres du temps" (vidéo, journal du CNRS).

- Poster « Voyage au cœur d’une horloge atomique : l’atome de Cs 133 dans tous ses états », réalisé par Thomas Zanon dans le cadre de la fête de la science (visible en tour 23 au 1er étage et en tour 23 au 2ième étage sur le campus Jussieu).

• Média (paroles de chercheurs)

- Histoires courtes par A. Papillaut et J.F. Dars (histoire courte avec D. Kleppner intitulée: around the clock ou la gravité du temps).

Références bibliographiques

- Les fondements de la mesure du temps. Comment les fréquences atomiques règlent le monde. B. Guinot et C. Audoin, bureau des longitudes. Ed. Masson. (1998).

- Les références de temps et d’espace. Un panorama encyclopédique : histoire, présent et perspectives. Ouvrage coordonné par C. Boucher avec le concours de P. Willis. Ed. Hermann (2017).

- La mesure du temps aujourd’hui. E. de Clerq, T. Zanon-Willette et O. Acef (revue REE 2016-1)

- Norman Ramsey and his method. D. Kleppner, Phys. Today 66(1), 25 (2013); doi:10.1063/PT.3.1855.

 


(*) Parcours de Thomas Zanon-Willette

Thomas Zanon-Willette est enseignant-chercheur au LERMA (Laboratoire d'Etudes du Rayonnement et de la Matière en Astrophysique et Atmosphères). Au sein de l’équipe SMILE du pôle de recherche « molécules dans l’univers », Il développe de nouvelles méthodes théoriques et expérimentales pour améliorer la spectroscopie atomique et moléculaire à très haute résolution.   

Il a soutenu une thèse au SYRTE (Systèmes de références Temps Espace) à l’Observatoire de Paris en 2005 sur les horloges atomiques compactes. Il a ensuite obtenu une habilitation à diriger des recherches en 2014 à l’UPMC sur l’utilisation de transitions optiques permises et interdites par spectroscopie laser en vue d’une application aux horloges optiques.

Depuis quelques années, il cherche à perfectionner la méthode spectroscopique imaginée par Norman Ramsey (Prix Nobel de physique 1989) pour interroger des résonances atomiques afin d’éliminer les perturbations systématiquement induites par le laser excitateur. Cette recherche s’inspire de travaux effectués initialement en résonance magnétique nucléaire avec des séquences complexes d’impulsions composites radiofréquences capables d’améliorer par exemple la résolution spatiale de l’imagerie médicale.