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Quand la méduse rencontre le crapaud : une nouvelle vision de la régulation des divisions de l’ovocyte

Pour devenir un gamète, l’ovocyte doit sortir d’un état de quiescence pendant lequel il accumule des réserves pour l’embryon. Cette décision dépend d’une enzyme, PKA. De façon surprenante, elle sort l’ovocyte de la quiescence chez les invertébrés, mais elle maintient cet état chez les vertébrés !

Une équipe composée de membres de l'Institut de Biologie Paris Seine (IBPS) et de membres du laboratoire de Biologie du Développement de Villefranche-sur-mer (LBDV) élucident ce paradoxe et retracent son histoire évolutive dans un article publié dans la revue Development.

Chez tous les animaux, les cellules reproductrices se divisent par un processus particulier, différent de celui des autres cellules, appelé méiose. Chez les femelles, ces cellules, les ovocytes, enclenchent la méiose mais très rapidement, la division s’arrête à un stade appelé prophase. Cet arrêt en prophase n’est qu’apparent : l’ovocyte accumule des réserves nécessaires pour le développement du futur embryon. L’ovocyte ne reprendra sa division qu’au moment de l’ovulation.

Cet arrêt en prophase est très important : si l’ovocyte en sort trop tôt, il sera fécondé alors qu’il n’a pas fini sa préparation au développement et l’embryon ne sera pas viable. Si au contraire il est incapable d’en sortir, la femelle sera stérile. Des anomalies de l’arrêt en prophase sont souvent à l’origine d’infertilités humaines. Chez les vertébrés, cet arrêt est maintenu par l’activité élevée d’une enzyme appelée PKA.

PKA agit comme un interrupteur : en mode marche, PKA active maintient l’ovocyte en prophase ; en mode arrêt, PKA inactive libère l’ovocyte qui reprend la méiose. Mais de manière surprenante, chez de nombreux invertébrés, le contrôle de la méiose par PKA est inversé : PKA doit être inactive pour permettre le maintien en prophase et active pour autoriser la division.

Comment une même enzyme peut-elle contrôler un même processus physiologique de façon opposée selon les espèces ? Pour résoudre ce paradoxe, l’équipe s’est penchée sur un des substrats connus de PKA, appelé ARPP19, chez le Xénope, un amphibien très étudié dans les laboratoires. Ciblée par PKA, ARPP19 est essentielle pour l’arrêt en prophase de l’ovocyte. Les chercheurs ont échangé cette cible de PKA entre le Xénope et la méduse Clytia, dont les ovocytes sont contrôlés de façon opposée par PKA. Ils ont découvert que ARPP19 de Clytia n’est pas une cible de PKA parce que son motif de reconnaissance par PKA est légèrement différent de celui du Xénope. De plus, ARPP19 agit chez le Xénope par des cibles qui ne sont pas présentes chez Clytia.

La solution du paradoxe tient donc à deux éléments : chez la méduse, ARPP19 n’est pas reconnue par PKA et ne dispose pas de ses protéines cibles. L’équipe a également découvert que le site PKA d’ARPP19 n’est pas présent chez les plantes et les champignons. Au cours de l’évolution, il apparaît lors de l’émergence des animaux. Mais chez les espèces animales ancestrales, comme la méduse, ARPP19 n’est pas un acteur essentiel de la méiose. Son site PKA doit intervenir dans des caractères propres à tous les Métazoaires, mais lesquels ? L’émergence de cellules nerveuses, peut-être ? Au cours de l’évolution des animaux, ce site aurait accru son affinité pour PKA, ce qui lui a permis de jouer un rôle essentiel dans la régulation de la méiose chez les vertébrés. La confrontation de la méduse et du Xénope livre ainsi une première vision de la régulation par PKA de l’arrêt en prophase des ovocytes et de sa complexification au cours de l'évolution.

L’arrêt en prophase de l’ovocyte est maintenu par PKA de façon opposée chez la méduse Clytia (colonne de gauche) et l’amphibien Xénope (colonne de droite). Chez le Xénope, PKA agit par l’intermédiaire de ARPP19 alors que cette protéine n’est pas reconnue par PKA chez Clytia. En haut : à gauche, photos de la méduse Clytia et d’un ovocyte en prophase ; à droite, les équivalents Xénope. ©Evelyn Houliston, LBDV, CNRS-SU ©Catherine Jessus, LBD, CNRS-SU

 


Références : ARPP19 phosphorylation site evolution and the switch in cAMP control of oocyte maturation in vertebrates. Ferdinand Meneau, Pascal Lapébie, Enrico Maria Daldello, Tran Le, Sandra Chevalier, Sarah Assaf, Evelyn Houliston, Catherine Jessus and Marika Miot. Development (2024) 151, dev202655. doi:10.1242/dev.202655

Contact

Marika Miot

Maître de conférences
Laboratoire de Biologie du Développement (LBD UMR7622) - Institut de Biologie Paris-Seine (IBPS) - Sorbonne Université, CNRS