SLICES, première plateforme européenne de test pour les sciences du numérique
Conçue comme un instrument scientifique pour les sciences du numérique, la plateforme SLICES est une initiative unique au monde.
Serge Fdida, professeur d’informatique à l’origine du projet, nous dévoile les enjeux de cette infrastructure qui mobilise plus d’une centaine d’universités et de centres de recherche européens.
Comment est né le projet SLICES et quels sont ses objectifs ?
Serge Fdida : SLICES , pour LargeScale Infrastructure for Computing/Communication Experimental Studies, est le premier grand instrument scientifique développé par et pour la recherche dans les sciences du numérique et en particulier les réseaux et les systèmes informatiques. Pour faire une analogie, c’est le premier « télescope » permettant de soutenir et valider les résultats de la recherche expérimentale dans ce domaine. De plus, l’Europe est la bonne échelle pour porter et mettre en œuvre ce type d’instrument.
Bien que de nombreuses plates-formes aient été développées par le passé, aucune n’est pérenne, ni suffisamment large et coordonnée pour couvrir l’ensemble du cycle de vie de la recherche. Ce sont ces limitations qui ont conduit la communauté scientifique que j’ai coordonnée à évoluer du concept d’un ensemble de plateformes de test distribuées à celle d’un grand instrument scientifique.
Comment est financée cette initiative ?
S. F. : Un tel instrument ne peut être pensé qu’à l’échelle d’un continent. Il va constituer un investissement conjoint entre la Commission européenne et 12 États membres qui ont confirmé leur soutien politique à cette initiative ambitieuse en s’engageant sur une pérennisation de l'infrastructure jusqu'en 2042.
Son financement est rendu possible par sa sélection dans la feuille de route ESFRI (European Strategy Forum on Research Infrastructures) dans le cadre du programme Horizon Europe. C’est une fierté d’avoir été sélectionnés dans cette feuille de route très concurrentielle en 2021, en tant que premier instrument scientifique dédié aux sciences du numérique, au même titre que les grands télescopes ou les accélérateurs de particules à haute énergie.
Les financements nécessaires seront mobilisés au fur et à mesure du développement de la plateforme et correspondent à ceux requis pour de grands instruments scientifiques, sans commune mesure avec ce qui était engagé auparavant.
Quelles grandes étapes ont jalonné ce projet ?
S. F. : Nous avons démarré l’initiative en 2017 et conduit avec succès la phase de conception qui permettait de démontrer que l’on maîtrisait tous les éléments nécessaires à la construction de SLICES : intérêt des questions scientifiques, soutien d’une large communauté, capacité de mobiliser des moyens aussi bien financiers que politiques, etc.
Nous avons également travaillé sur la pérennisation de l’instrument en préparant la viabilité financière de sa future construction puis de ses opérations, et en avançant vers la création d’une entité juridique spécifique pour gérer la complexité de son modèle économique et de sa dimension européenne.
Nous entrons désormais dans la phase de préparation qui recouvrira également la phase de pré-implémentation et d’ouverture progressive du service dès 2024. Nous allons, dès cette année, expérimenter un certain nombre de solutions technologiques qui seront les fondations de SLICES.
Aujourd’hui, nous disposons d’une communauté organisée autour de 15 états membres et d’environ une centaine d’organisations (universités et centres de recherche). Cette démarche est coordonnée avec d’autres acteurs internationaux, notamment les USA, le Japon et le Brésil, afin d’assurer une interopérabilité des infrastructures de tests visant à constituer un instrument scientifique global pour nos communautés.
À qui s’adresse cette infrastructure ?
S. F. : La plateforme est ouverte à toute chercheuse et chercheur de par le monde à condition que les questions scientifiques posées soient pertinentes. Celles-ci sont évaluées par un comité scientifique international.
SLICES entretient et développe également des coopérations étroites avec le monde industriel, en particulier sur l’après 5G, la 6G et le cloud. SLICES devrait permettre d’accélérer la recherche dans ces domaines.
Par ailleurs, le secteur numérique connaît un réel enjeu de formation et de développement des compétences en raison du déficit important de candidates et candidats face au fort besoin du secteur, et d’une intense compétition pour attirer ces talents. C’est pourquoi SLICES vient également de créer la « SLICES Academy ».
Quels types d’applications permettra-t-elle de tester ?
S. F. : En premier lieu, les futures technologies comme la 6G qui devrait pouvoir être lancée commercialement autour de 2032. Pour développer la 6G, il faut s'assurer de la faisabilité d'un certain nombre de technologies, de solutions, d'algorithmes. SLICES jouera le rôle d'incubateur de ces solutions et d'espaces de test.
Cette plateforme permettra également de tester d’autres applications dans le domaine du cloud ou de l’internet des objets, notamment dans le cadre des villes intelligentes, de l'énergie et des transports, des jumeaux virtuels ou du metavers, qui utilisent énormément de technologies numériques.
Nous nous inscrivons également dans les objectifs globaux de réduction de l’empreinte environnementale et climatique des activités de nos sociétés, en permettant de développer de nouvelles solutions et technologies pour préparer la nouvelle génération des infrastructures numériques avec une empreinte environnementale réduite.
Permettra-t-elle un accès ouvert aux données qui seront produites ?
S. F. : Construite comme un bien commun, l’accès ouvert aux données de recherche et la reproductibilité des expériences est aussi importante que l’infrastructure elle-même. Nous avons donc entrepris la définition de l’organisation des données et de leur interopérabilité avec l’initiative EOSC (European Open Science Cloud). Nous proposons également un cadre permettant la reproductibilité des expériences et la mise à disposition des objets numériques (données et programmes) pour l’ensemble de notre communauté.
Quel rôle joue la France dans cette initiative ?
S. F. : SLICES est organisé sous la forme d’une infrastructure de recherche distribuée, avec un nœud central en France et des nœuds distribués dans l’ensemble des pays partenaires.
Coordinatrice de cette initiative, la France s’est engagée à soutenir le développement du nœud français SLICES-FR organisé autour des principaux organismes de recherche et universités concernées, dont notamment Sorbonne Université, l’INRIA, le CNRS, l’IMT et EURECOM. Le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche, que je tiens à remercier pour son accompagnement éclairé, a inscrit le soutien de SLICES-FR dans le cadre des programmes et équipements prioritaires de recherche 5G et Cloud (PEPR), avec un financement de 17,5 millions d’euros. Ce soutien montre que la France peut jouer un rôle de leader et de pionnier dans le domaine des grands instruments scientifique et de la recherche dans les sciences du numérique.