Un convertisseur pour faire dialoguer les dispositifs quantiques du futur
Des chercheurs du laboratoire Kastler Brossel (LKB) ont réussi à construire le premier convertisseur pour faire communiquer deux types de codage de l’information quantique.
Cette première pourrait permettre l'interconnectivité des futurs réseaux
L’information quantique recouvre à la fois le domaine des communications quantiques - qui permettent un échange sécurisé d'informations -, et celui du calcul quantique, qui rend possible la résolution, dans des temps raisonnables, de problèmes aujourd’hui insolubles.
Dans la course à cette informatique quantique, de nombreuses plateformes sont actuellement développées, reposant sur différents systèmes quantiques, tels que les photons, les atomes neutres, les ions, les supraconducteurs et les semi-conducteurs. Pour tous ces systèmes, plusieurs types de codage existent, et leur choix dépend des applications spécifiques et des ressources disponibles. La prise en compte de cette hétérogénéité est une question urgente car il n’y a actuellement aucune standardisation des télécommunications quantiques. Or celles-ci, aujourd’hui en cours de développement, pourraient voir le jour d’ici cinq à dix ans.
Le physicien Julien Laurat et ses collègues du LKB1 se sont attaqués à ce problème en créant un convertisseur permettant de faire communiquer entre eux les dispositifs quantiques à venir. Cela permettrait, par exemple, d’échanger des informations dans un futur internet quantique qui reposerait sur des machines, des encodages, des protocoles différents. Dans le numéro en ligne de février de Nature Photonics, ils ont fait état de la première démonstration réussie d'une conversion.
« Nous avons relevé le challenge scientifique de démontrer pour la première fois que cette conversion est possible et efficace. Nous avons conçu une sorte de boîte noire qui permet de passer d'un encodage d'information quantique à un autre grâce au phénomène d’intrication », explique le chercheur. Sujet du prix Nobel de physique 2022, au cœur de la révolution quantique actuelle, l’intrication quantique décrit le fait que deux particules (ou groupes de particules) forment un système lié, et présentent des états quantiques dépendant l'un de l'autre quelle que soit la distance qui les sépare. « Elle décrit des corrélations entre des faisceaux de lumière qui ne peuvent pas s'expliquer par la physique classique », précise le chercheur. En utilisant ce phénomène, les scientifiques ont pu préserver le fragile signal d'information quantique codé tout en changeant la base sur laquelle il est écrit. « La deuxième révolution quantique est portée par la capacité à exploiter et à contrôler l'intrication au niveau quantique. La capacité de créer, de manipuler et de distribuer l'intrication ouvre la porte à de nombreuses applications et technologies nouvelles qui ne peuvent être réalisées avec les seuls systèmes classiques », déclare Tom Darras, premier auteur de l'étude et PDG et cofondateur de la startup quantique Welinq.
« Le succès de ce procédé est une étape importante pour les infrastructures de la technologie quantique. Une fois que nous pourrons interconnecter des dispositifs quantiques, des réseaux plus complexes et plus efficaces pourront être construits, souligne Beate Asenbeck, doctorante au LKB qui a participé à cette démonstration. Il est étonnant de penser qu'avec la technologie d'il y a seulement dix ans, cette tâche aurait été presque impossible. C'est un moment très excitant de voir que l'avancement de notre compréhension fondamentale du domaine quantique repousse nos limites technologiques. »
Même s’ils n’ont pas aujourd’hui de concurrence industrielle directe sur ce sujet, les chercheurs ont déposé un brevet porté par la Satt Lutech pour protéger leur innovation. Ce brevet est désormais exploité par la start-up Welinq confondée par les physiciens Julien Laurat et Tom Darrras, porteurs de cette avancée scientifique.
1 Sorbonne Université, CNRS, ENS-Université PSL, Collège de France