Conque de Marsoulas © Carole Fritz
Conque de Marsoulas © Carole Fritz et al. 2021.
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Un instrument vieux de 18 000 ans révèle les sonorités de la Préhistoire

90 ans après sa découverte dans la grotte ornée du même nom, la conque de Marsoulas a été étudiée par une équipe de recherche pluridisciplinaire (CNRS, Muséum de Toulouse, Université Toulouse-Jean Jaurès, musée du quai Branly – Jacques-Chirac, Sorbonne Université). Le croisement des expertises a permis d’appréhender sous un nouveau jour ce qui jusqu’alors était connu des archéologues comme un coquillage de taille exceptionnelle : cette conque serait en fait le plus ancien instrument à vent de ce type jamais découvert. Dans une étude publiée le 10 février dans Sciences Advances, ils dévoilent les tous premiers sons de la Préhistoire.

Explorée pour la première fois en 1897, la grotte de Marsoulas est la première grotte ornée découverte dans les Pyrénées[1]. La conque a quant à elle été découverte en 1931 et c’est au cours d’un récent inventaire issu des fouilles archéologiques, conservé en grande partie au Muséum de Toulouse, que des scientifiques se sont penchés sur ce grand coquillage de l’espèce Charonia lampas (triton à bosse). « Lors de sa découverte, la conque été étudiée pour sa taille exceptionnelle[2]  et le fait surprenant qu’elle ait été transportée depuis la côte atlantique jusqu’à la grotte qui se situe à plus de 200km de là. Ce n’est qu’il y a quelques années que mes collègues qui étudient les peintures pariétales, Carole Fritz et Gilles Tosello, et ceux du Muséum de Toulouse, ont émis l’hypothèse qu’il puisse s’agir d’un instrument de musique » explique Philippe Walter, chercheur au CNRS, directeur du laboratoire d’archéologie moléculaire et structurale à Sorbonne Université et co-auteur de l’étude.            

En révélant les transformations subies par la conque, la tomographie[3] à rayons X a permis de vérifier cette hypothèse. Plusieurs étapes imputables à la main de l’homme ont en effet été détectées, à commencer par la pointe, manifestement cassée afin de pouvoir souffler dans le coquillage. Le pavillon de la conque a également été travaillé, de manière à permettre l’insertion de la main au niveau de la sortie afin d’en moduler le son, geste indubitablement lié à une pratique musicale. Enfin, la tomographie a dévoilé un trou creusé dans la deuxième spire et les traces des outils ayant permis cette transformation. « Tout cela montre que cet objet a été conçu comme un instrument de musique, de manière très sophistiquée. Cette découverte fait date dans l’histoire des techniques ! » commente Philippe Walter, très enthousiaste. L’intervention d’un corniste, enseignant-chercheur à l’université de Toulouse-Jean Jaurès, qui a produit trois sons proches des notes do, do dièse et ré a définitivement confirmé le postulat des chercheurs. L’instrument, qui résonne à 100dB, a une puissance sonore incroyable. « C’est la première fois que l’on entendait un son de la Préhistoire ! » s’est réjouie l’équipe de recherche.     

Tout cela montre que cet objet a été conçu comme un instrument de musique, de manière très sophistiquée. Cette découverte fait date dans l’histoire des techniques !

Philippe Walter, directeur du laboratoire d'archéologie moléculaire et structurale à Sorbonne Université

Art pariétal et musique

Mais la découverte ne s’arrête pas là. En réétudiant la conque, les chercheurs ont mis au jour une série de points rouges identiques à ceux figurant sur les parois de la grotte ornée de Marsoulas (en particulier pour la représentation d’un bison, peint avec le même type de pigments), témoignage d’une relation symbolique directe entre cet objet-instrument de musique et l’art rupestre. Si cette dimension avait déjà été évoquée par des spécialistes de la préhistoire, leur nouvelle lecture de la conque en apporte une preuve incontestable. Cette seconde découverte surprenante vient nourrir les recherches menées par Philippe Walter qui étudie les peintures de la grotte de Marsoulas depuis déjà près de vingt ans déjà : « l’analyse des pigments par leur composition chimique et leur couleur a permis de déterminer que le style des points présents sur la conque correspond à une des phases de décoration de la grotte ». Cette donnée pourrait ouvrir de nouvelles perspectives pour étudier l’ensemble des étapes de décoration de la grotte afin de recréer le décor intégral au moment où le bison a été peint, et la conque façonnée.

Comparaison des pigments utilisés pour le bison et la décoration de la conque de Marsoulas - ©Ph. Walter, CNRS / ©Carole Friz et al., 2021

Modélisation 3D et appropriation patrimoniale

Lors de cette étude, une première modélisation de la conque a été réalisée grâce à une imprimante 3D. Afin de se rapprocher le plus possible des densités et vibrations de l’instrument original, les chercheurs réfléchissent à d’autres techniques de modélisations, en utilisant notamment des matériaux de comportement mécanique proche de la matière du coquillage.

Si la science a permis d’apporter un nouveau regard sur la conque, Philippe Walter rêve d’un instrument virtuel, accessible à tous les musiciens qui souhaiteraient s’en emparer et créer leur propre musique. « Notre société est empreinte d’une culture musicale avec les sonorités que l’on connaît et on peut aisément imaginer que les sons de l’époque préhistorique étaient radicalement différents. Cette découverte scientifique pourrait donc amener à un transfert vers la création contemporaine et à une appropriation patrimoniale » conclue-t-il.

 


 [1] Elle témoigne des débuts de la culture magdalénienne dans cette région, à la sortie du dernier maximum glaciaire.
[2] Avec 31cm de hauteur, 18cm de diamètre et jusqu’à 0,8cm d’épaisseur, la conque témoin d’une mer plus froide est plus grosse et plus épaisse que les plus récentes de la même espèce.
[3] Technique d’imagerie qui permet de reconstruire le volume d’un objet à partir d’une série de radiographies. En archéologie, elle est notamment utilisée pour étudier la structure interne des fossiles et des momies.

Pour aller plus loin :

>> Découvrez le son de la conque de Marsoulas.

>> Voir le modèle 3D.

Référence : First record of the sound produced by the oldest Upper Paleolithic seashell horn, C. Fritz, G. Tosello, G. Fleury, E. Kasarhérou, Ph. Walter, F. Duranthon, P. Gaillard and J. Tardieu, Sciences Advances, 10 Février 2021.