Mars dust storm
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Une saison des poussières plus turbulente que prévu sur la planète rouge

Crédit image © ESA/DLR/FU Berlin, CC BY-SA 3.0 IGO 

Une équipe de planétologues du Laboratoire de météorologie dynamique (LMD) a utilisé les enregistrements de pression effectués par la station météorologique à bord de l’atterrisseur Insight pour étudier comment les changements rapides dans l’atmosphère (de quelques secondes à quelques minutes), appelés turbulences, varient en fonction des saisons sur Mars. L’équipe a découvert, entre autres, que la turbulence était inhabituelle en automne/hiver avec une augmentation des turbulences nocturnes due à des nuits plus chaudes et plus venteuses. Les scientifiques en concluent que des répercussions importantes sur la dynamique des tempêtes de poussières et les phénomènes éoliens résulteront de cette turbulence accrue. Résultats publiés le 28 novembre 2021 dans la revue Geophysical Research Letters.


Un suivi inédit de la variabilité de l’atmosphère sur Mars

La station météorologique à bord de l’atterrisseur InSight réalise, depuis trois années martiennes, un suivi inédit de la variabilité de l’atmosphère proche de la surface à l’aide d’un baromètre très sensible qui mesure en permanence la pression atmosphérique. Cette mission a pour principal objectif l’étude sismique de Mars, qui requiert la présence d’une station météorologique de pointe pour prendre en compte les effets atmosphériques dans l’analyse des données sismiques. L’enregistrement de données météorologiques est réalisé à haute fréquence, grande précision et en continu sur plus d’une année martienne.

Une basse atmosphère encline à la turbulence

Mars possède une basse atmosphère encline à la turbulence. Sa fine atmosphère, généralement dépourvue de nuages, et la faible inertie thermique de sa surface favorisent de forts gradients de température proche de la surface, qui entraînent l’apparition de turbulence convective.

En investiguant la turbulence atmosphérique martienne, les scientifiques ont pu observer, en particulier, de chutes de pression soudaines qui indiquent le passage d’un tourbillon dans l’environnement d’InSight. Leur recensement permet de mettre en lumière une saison particulièrement turbulente en termes de tourbillons entre les sols 600 et 700 (Ls 210-320° - correspondant à l’automne/hiver dans l’hémisphère nord, autour du périhélion), avec à la fois une augmentation du nombre de tourbillons de jour et l’apparition de tourbillons nocturnes.

En plus des tourbillons, il est intéressant d’étudier la turbulence ‘locale’ (due à des variations de pression de l’ordre de 0.5-100 s), ainsi que la turbulence ‘non locale’ (due à des variations de l’ordre de 100-500 s).

La turbulence ‘non locale’ est due à des phénomènes atmosphériques de l’ordre du kilomètre ou plus qui sont déplacés par les vents d’environnement et détectés par le senseur de pression (voir Figure 1). Il s’agit généralement de cellules de convection créées en journée par l’inversion de température entre la surface chaude et l’atmosphère juste au-dessus. Nous observons effectivement que la turbulence ‘non locale’ est la plus forte autour de 12-13h. Elle ne montre qu’une variation saisonnière très modérée.
 

Schéma illustrant les principaux processus turbulents mis en évidence à la surface de Mars.

Figure 1 : Schéma illustrant les principaux processus turbulents mis en évidence à la surface de Mars.

La turbulence ‘locale’, à l’opposé, donne des résultats remarquables et beaucoup plus inattendus. La Figure 2 révèle l’existence de turbulence locale forte durant la nuit en automne/hiver, ce qui est exceptionnel comparé aux nuits habituellement ultra stables sur Mars (dues au refroidissement radiatif extrêmement efficace qui inhibe toute convection). Cette Figure met également en avant une forte évolution saisonnière de la turbulence locale de jour, avec une turbulence importante et régulière au printemps/été (Ls 23-166°), un épisode extrêmement variable (et lié aux vents d’environnement) fin automne/début hiver (Ls 210-320°) et entre, deux saisons de très faible turbulence locale.

Turbulence locale dérivée des mesures de pression d’InSight sur plus d’une année
Figure 2 : Turbulence locale dérivée des mesures de pression d’InSight sur plus d’une année

Une saison des poussières plus turbulente que prévu, de jour comme de nuit

Comment expliquer ces observations ? L’énergie cinétique turbulente dans la couche limite planétaire provient de deux sources distinctes : la force de flottaison qui crée de la turbulence convective (initiée par le chauffage de la surface et de l’atmosphère proche de la surface par les rayons solaires) et le cisaillement du vent. Pendant la nuit, la turbulence due au chauffage solaire est totalement inhibée, mais le vent peut induire de la turbulence. Et en effet, un jet puissant est observé en automne/hiver, lors de la saison des poussières. La présence de poussières dans l’atmosphère à cette saison diminue également l’effet stabilisant du refroidissement radiatif nocturne (car les poussières atmosphériques limitent le refroidissement de la surface). L’étude du nombre de Richardson (ratio de l’effet des forces de flottaison et de l’effet du cisaillement du vent) valide quantitativement ces explications.

Financés par l'ANR MArs Geophysical InSight (MAGIS), ces travaux ont mis en évidence l’existence d’une saison des poussières exceptionnellement turbulente. Cette saison des poussières sur Mars conduit à la formation accrue de tourbillons et de mouvements turbulents dans l’atmosphère, de jour comme de nuit. Ceci aura certainement des répercussions majeures sur la dynamique des tempêtes de poussière et les processus éoliens sur la planète rouge.

Références

  • Chatain, A., Spiga, A., Banfield, D., Forget, F., & Murdoch, N. (2021). Seasonal variability of the daytime and nighttime atmospheric turbulence experienced by InSight on Mars. Geophysical Research Letters, 48, e2021GL095453.
  • Banfield, D., Spiga, A., Newman, C., Forget, F., Lemmon, M., Lorenz, R., et al. (2020). The atmosphere of Mars as observed by InSight. Nature Geoscience, 13(3), 190–198.
  • Spiga, A., Murdoch, N., Lorenz, R., Forget, F., Newman, C., Rodriguez, S., & Banerdt, W. B. (2021). A study of daytime convective vortices and turbulence in the Martian planetary boundary layer based on half-a-year of InSight atmospheric measurements and large-eddy simulations. Journal of Geophysical Research: Planets, 126(1), e2020JE006511.

Contact

Audrey Chatain

Chercheuse postdoctorale
Laboratoire de météorologie dynamique - LMD
(Sorbonne Université, ENS-PSL, École Polytechnique, CNRS)

Aymeric Spiga

Maître de conférences, Sorbonne Université
Laboratoire de météorologie dynamique - LMD
(Sorbonne Université, ENS-PSL, École Polytechnique, CNRS)