Démarche scientifique et esprit critique
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Démarche scientifique et esprit critique

Des enseignants de Sorbonne Université ont créé une formation originale à destination des étudiants de Licence 1 PCGI (physique, chimie, géosciences, ingénierie). Frédéric Decremps, enseignant-chercheur en physique à l’origine de la démarche, défend l’intérêt de cet enseignement à la pédagogie innovante dans une société en pleine mutation.

Qu’est-ce qui vous a amené à créer cette formation ?

Frédéric Decremps : Dans un contexte où les fake news sont en pleine recrudescence, où les climatosceptiques continuent à mettre en doute les dangers du réchauffement de la planète, à l’heure où nous sommes submergés par les informations qui abondent sur les réseaux sociaux, il devient primordial de former nos étudiants à l’esprit critique.

L’université est le lieu de production et de transmission des savoirs. A ce titre, elle a un "impératif démocratique", une "dimension civique propre" qui nous motivent, pour reprendre les mots de ma collègue Sylvie Pierre de l'université de Lorraine qui travaille sur ces mêmes questions. L’enseignement « Démarche scientifique et esprit critique » s’inscrit pleinement dans cette perspective.

Quels sont ses objectifs ?

F. D. : "Mieux vaut une tête bien faite qu'une tête bien pleine", disait Montaigne. Or, la plupart de nos étudiants suivent les cours sans se poser de question sur ce qui leur est enseigné et travaillent avant tout pour répondre aux attentes de l’enseignant. Ils n’ont pas le temps d’interroger la somme colossale de connaissances qu’il leur faut assimiler, ni la façon dont elles leur sont transmises.

Notre formation permet d’adopter un autre rythme, celui du recul critique. Si elle couvre seulement 6 ECTS sur 180, cette unité d’enseignement (UE) nourrit l’ensemble des autres UE en développant chez nos étudiants une plus grande maturité et une réflexion plus aiguisée qui leur seront utiles dans toutes les disciplines.

L’objectif, dans la durée, est de former des citoyens suffisamment armés conceptuellement pour penser de façon autonome et indépendante. En apprenant aux étudiants à participer aux débats de société, à interroger l’information qu’ils reçoivent, à éviter les simplifications faciles, nous leur donnons les outils pérennes et nécessaires pour se défendre intellectuellement.

Sur quoi repose-t-elle concrètement ?

F. D. : Cette formation interdisciplinaire se compose de trois parties :

  • Une introduction à l’épistémologie et à l’histoire des sciences

A travers une série de questions sur la nature du savoir scientifique, les étudiants réalisent que la recherche progresse à travers un processus de création, de transmission, mais aussi de controverse, et que l’histoire humaine et celle des sciences s’influencent mutuellement.

  • Une réflexion sur les motivations à s’engager dans un cursus scientifique et l’importance de développer un esprit critique

Les étudiants prennent conscience que développer une pensée structurée, logique et objective constitue une compétence en soi qu’ils pourront appliquer dans n’importe quel domaine professionnel. Par ailleurs, grâce aux connaissances des sciences cognitives apportées par des chercheurs de l’Institut des systèmes intelligents et de robotiques, Mehdi Khamassi et Emmanuel Guigon, ils apprennent à identifier les biais qui entrent en jeu dans la prise de décision et la perception des informations.

  • Une pédagogie par projet

A travers un mini projet de recherche mené en binôme, les étudiants choisissent un sujet en lien avec les sciences, susceptible de faire controverse. Cela leur permet de mettre en pratique ce qu’ils ont acquis tout en prenant part aux débats actuels de société.

Quelle est son originalité pédagogique ?

F. D. : Nous avons voulu que cette formation soit un véritable laboratoire pour l’innovation pédagogique. Le rôle de l’enseignant est davantage celui d’un modérateur favorisant l’expression de chacun dans un climat de confiance que celui d’un expert. C’est pourquoi, nous avons choisi d’animer cette formation en binôme avec un enseignant-chercheur d’un autre domaine, confrontant ainsi nos propres convictions pour ouvrir le débat.

L’enseignant n’est pas là pour sanctionner, mais pour guider et expliquer. Un cahier de compétences permet d’apprécier les acquis sur le semestre et l’évaluation finale se fonde à la fois sur l’auto-appréciation de l’étudiant, l’évaluation de ses pairs et celle du formateur.

Quel avenir pour cette formation ?

F. D. : Cet enseignement, que j’ai développé il y a maintenant dix ans, a revêtu des formes différentes dont l’unique exigence a toujours été d’obtenir un nombre suffisant d’heures pour développer, auprès de nos étudiants, l’apprentissage de l’autonomie, du recul critique et de l’ouverture d’esprit.

Aujourd’hui, notre ambition est que cette formation puisse, sous une forme nouvelle, s’étendre à tous les niveaux de licence et bénéficie du contexte pluridisciplinaire de Sorbonne Université pour développer de nouveaux échanges avec la faculté des Lettres.

Pour en savoir plus

Frédéric Decremps a présenté la formation « Démarche scientifique et esprit critique » au CNAM le 30 mars 2018.