Amal El Fallah Seghrouchni
Pionnière de l’intelligence artificielle
L’innovation en IA partira d’Afrique.
La chercheuse en informatique qui dirige des recherches en intelligence artificielle (IA) en France et au Maroc, experte ès-éthique auprès de l’UNESCO, représentera les deux pays pour le prix de la Femme de l’année des Berkeley World Business Analytics Awards. Portrait d’une femme qui n’a plus rien à prouver à l’artificial intelligentsia mondiale.
Architecture d’une base de connaissances distribuée pour l’analyse et la validation des réseaux de Petri. Telle est la thèse soutenue en 1991 par Amal El Fallah Seghrouchni au Laboratoire d’informatique Lip61 (Sorbonne Université/CNRS). 30 ans plus tard, elle co-anime l’axe IA et science des données qui regroupe quelque 120 chercheurs dans ce même Lip6. 30 années qui feront de l’étudiante en maîtrise de mathématiques et informatique, venue en France pour ses études, une professeure de classe exceptionnelle internationalement reconnue pour ses travaux en IA dans le domaine des systèmes multi-agents (SMA). Tout commence par une lecture.
À l’avènement de l’IA
Fraîchement diplômée d’un prestigieux lycée de Rabat, elle reçoit un Que sais-je ?. « Il y était expliqué que les non informaticiens seraient les handicapés du XXIe siècle, que l’avenir serait l’informatique », se rappelle Amal El Fallah Seghrouchni. Marquée par cette lecture, elle part pour l’université Louis Pasteur de Strasbourg, où vit son frère. Elle aurait préféré Paris. Elle y obtient sa Maîtrise et se rapproche de la capitale pour un DEA2 à cheval entre l’Université Paris-Saclay et l’École des Ponts ParisTech. DEA en poche, et parce qu’elle a choisi des options portant sur les réseaux de neurones et l’IA, elle arrive au MASI3, qui deviendra le Lip6 après plusieurs fusions. Elle y débute sa thèse qu’elle soutiendra en 1991. « Pendant ma thèse j’ai développé un système expert qui utilisait des heuristiques4 pour faire collaborer des preuves en vue de valider des modèles de systèmes concurrents, raconte la chercheuse. À l’époque, on créait des systèmes intelligents capables de représenter des connaissances et d’inférer. Aujourd’hui, on nourrit des algorithmes aves de grandes masses de données pour en tirer des tendances, des prédictions. L’avenir de l’IA réside dans son hybridation. » Les chercheurs de Sorbonne Université planchaient sur ces questions depuis 1957. « C’est le fief de l’IA ! », s’enorgueillit-elle.
Après deux ans en tant qu’ATER5, Amal El Fallah Seghrouchni passe Maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord où elle participe à la création de l’équipe ADAge6, entièrement dédiée à ce que l’on nommera bientôt IA. En 2000, elle obtient l’habilitation à diriger des recherches et devient présidente du collège SMA de l’Association Française d’Intelligence Artificielle (jusqu’en 2011), rejoint l’Université Paris Nanterre en qualité de Professeure en 2002, développe des collaborations internationales, travaille en collaboration avec les entreprises Thales et Dassault Aviation, et obtient, en 2006, le poste de Professeure à Sorbonne Université où elle crée l’équipe SMA, qu’elle dirige encore aujourd’hui. « Plus pour très longtemps, confie-telle. Cela fait 15 ans que je la dirige, je compte bien passer la main. »
Pour une IA plus vertueuse
En janvier 2020, Amal El Fallah Seghrouchni devient titulaire de la chaire industrielle d’excellence Thales-SCAI Abu-Dhabi, qui s’appuie sur l’IA hybride pour concevoir des radars intelligents. L’épidémie de CoVID-19 ouvre alors de nouveaux horizons. En septembre, la chercheuse se lance un nouveau défi. Elle demande à la direction de Sorbonne Université une délégation à temps partiel dans son pays natal pour y créer un centre d’excellence en IA. Baptisé AI Movement, il s’adossera à l’Université Mohamed 6 Polytechnique (UM6P) à Rabat. Pour cela, elle installe une chaire industrielle à Sorbonne Université, un pont entre les deux rives de la Méditerranée et ses deux universités de tutelle qu’elle souhaite voir grandir à l’échelle de l’Afrique. Le projet lui vaut d’être nommée pour le Prix de la femme de l’année 2021 aux Berkeley World Business Analytics Awards. Une nomination qui offre déjà à son centre une visibilité continentale. « L’innovation en IA partira d’Afrique, affirme-t-elle. Le jeu y est ouvert et les gens très créatifs parce qu’ils s’intéressent à la résolution de problèmes concrets. J’ai rejoint l’UM6P pour faire de la recherche fondamentale et l’appliquer. Mais il est important de savoir ce que l’on fait de nos recherches », avoue celle qui a souvent abordé les questions éthiques lorsqu’elle travaillait dans le secteur privé et est, qui plus est, mariée au président de la CNDP*7, la CNIL marocaine.
C’est d’ailleurs en publiant et en tenant des séminaires sur le sort des données récoltées par les objets connectés, la manipulation de l’information et l’éthique des connaissances et de l’éducation qu’elle se fait remarquer par l’UNESCO, qui l’intègre à sa Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies en janvier 2020. « La gestion de la crise sanitaire a soulevé de nombreuses questions éthiques que nous avons essayé d’éclairer au sein de la Commission, conclut Amal El Fallah Seghrouchni. En tant que scientifiques, nos recherches doivent continuellement veiller au respect de la dignité humaine, de la justice, de l’équité et du bien-être social. »
1 Laboratoire d’informatique de Paris 6
2 Diplôme d’Études Approfondies
3 Méthodologie et Architecture des Systèmes Informatiques
4 Savoir-faire pour guider la résolution de problèmes
5 Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche
6 Apprentissage, Diagnostic et Agents
7 Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel