Catherine Boyen
Directrice de la Station biologique de Roscoff
On n’a pas à se justifier de vouloir l’égalité professionnelle homme-femme
Première femme à diriger la Station biologique de Roscoff, Catherine Boyen a su s’imposer dans un monde plutôt masculin. Elle est aussi très active dans la sensibilisation aux questions de parité. Portrait d’une femme qui a les pieds sur… mer !
La mer qu’on voit danser n’est pas qu’un paysage bucolique. C’est un terrain de recherche et d’innovation dont la France, avec près de 18 000 kilomètres de côte, a bien saisi l’importance. Environnement, construction, pharmaceutique, alimentation, médecine, chirurgie… De nombreux domaines bénéficient aujourd’hui des applications offertes par la mer. Chez certains, elle est à l’origine d’une passion, chez d’autres, d’une vocation. Catherine Boyen a eu la chance d’allier les deux en devenant chercheuse en biologie marine. Plus exactement en phycologie, l’étude des algues.
Tout débute au lycée Georges Clémenceau de Nantes par des cours de sciences naturelles passionnants. Pour Catherine Boyen, c’est une évidence, elle fera de la biologie. Après le bac, elle intègre donc la filière à l’Université de Nantes. « Ma première dissection de grenouille a été déterminante dans mon orientation vers la biologie végétale », ironise-t-elle. Un enseignant en particulier marque son jeune parcours, un professeur de physiologie végétale qui propose à ses étudiants en master 1 de découvrir pendant une semaine la Station biologique de Roscoff, un centre de recherche marine créé en 1872 en Finistère, pour un stage d’initiation à la taxonomie des algues. La chercheuse se souvient de ce mois de décembre glacial, les bottes dans l’eau, à ramasser et observer des algues. « C’était fascinant ! J’ai réalisé que je voulais approfondir mes connaissances sur ces organismes originaux, d’une grande diversité et à l’histoire évolutive passionnante. »
Elle se lance dans un DEA1 en algologie à Sorbonne Université, une des tutelles de la Station2, puis dans une thèse sur la paroi des algues brunes au cours de laquelle elle part quelques mois à l’Université Berkeley élargir son horizon scientifique et parfaire son anglais. En 1987, elle soutient sa thèse avant de repartir pour la Californie, à l’Université de Santa Barbara cette fois, pour étudier des enzymes d’invertébrés marins capables de dégrader cette paroi. Puis c’est le creux de la vague, entre petits contrats, vacations à la Station et plusieurs tentatives au concours du CNRS. En 1991, elle l’obtient enfin, devient chargée de recherches et se spécialise en biologie moléculaire. Elle ne quittera plus la Station, gravissant patiemment les échelons. En 2001 elle obtient son HDR3 et dirige le Laboratoire de Biologie Intégrative des Modèles Marins ainsi qu’un réseau d’excellence européen jusqu’en janvier 2019, date de la première nomination d’une femme à la tête de la structure. Elle.
Où sont les femmes ?
Sa nouvelle position lui donne de nouvelles responsabilités, pas seulement en tant que directrice. « Cela fait quelques années que l’on me pose des questions sur ma position de femme directrice d’équipes et maintenant d’une Station scientifique. Cela m’a amenée à y réfléchir », explique la chercheuse, qui avoue avoir été touchée par le syndrome de l’imposteur, celui ou celle qui croit ne pas mériter sa place. Un phénomène d’autocensure qui touche particulièrement les femmes. « Beaucoup de choses sont inconscientes ou du moins non conscientisées et je suis maintenant capable de l’expliquer à la lumière de mon expérience. J’ai pu mettre des mots sur des situations que j’ai vécues. » Pour illustrer son propos, elle parle de la dizaine d’années passée à jongler entre sa vie de mère et de chercheuse qui l’a écartée de la plupart des conférences internationales et privée d’opportunités. « C’est souvent involontaire mais totalement insidieux, une information ne nous parvient pas mais on ne sait pas bien pourquoi ni comment les autres l’ont eue. » Ce phénomène dit de « boys club » ou encore l’effet « John & Jennifer4 » ne l’ont toutefois pas empêchée de progresser. Elle a même fait siens ces biais inconscients qui véhiculent des clichés en se formant et en s’efforçant de former de futurs chercheurs et chercheuses à ces problématiques. « C’est un appel à la vigilance. Quand on parle d’égalité de formation, d’évaluation, de recrutement et de promotion, c’est un facteur à prendre en compte. On n’a pas à se justifier de vouloir l’égalité professionnelle homme-femme. » Aujourd’hui, si son poste de directrice de la Station lui prend la majeure partie de son temps, elle se consacre encore un peu aux algues, aux espèces microbiennes qui les colonisent et à leur capacité d’adaptation à leur environnement. « Je crois en la valeur de l’exemple et j’incarne cet exemple que des femmes peuvent, sans rien sacrifier de leur vie personnelle, prendre des postes de responsabilité et le faire correctement. »
1Diplôme d’études appliquées
2 Avec le CNRS et l’Institut national des sciences de l’univers (Insu)
3 Habilitation à diriger des recherches
4 À CV parfaitement égaux, un homme a statistiquement plus de chances d’obtenir un poste