Jean-Pierre Gattuso

Jean-Pierre Gattuso

Océanographe et directeur de recherche CNRS au LOV

En tant que chercheur, je suis convaincu de l'importance de jouer un rôle de passeur de connaissances auprès du grand public et des décideurs

Jean-Pierre Gattuso a été élu récemment à l’Académie des sciences chinoise. Cette académie comprend 860 membres ainsi que 129 membres étrangers. 

L'histoire de Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche CNRS au laboratoire d'océanographie de Villefranche-sur-Mer (Sorbonne Université/CNRS), est une illustration vivante de la façon dont une passion née de l'enfance peut façonner toute une carrière et devenir le moteur d'une vie dédiée à la compréhension et la préservation des océans. 


Jean-Pierre Gattuso, originaire d'Antibes, se souvient avec émotion de son adolescence, une période où il admirait le commandant Cousteau. Ses parents, comprenant l'importance de cette passion naissante, lui avaient acheté tous les livres publiés par le célèbre commandant et il regardait avec fascination ses documentaires à la télévision, notamment la série « L'Odyssée du Commandant Cousteau ». « Cela a généré, comme beaucoup de personnes de ma génération, un très grand intérêt pour la mer, pour les poissons et les animaux marins », explique-t-il.

Dès lors, l'objectif de Jean-Pierre Gattuso est clair : devenir océanographe et suivre les traces de son idole. « Je voulais tellement être océanographe que ma mère a écrit au commandant Cousteau, alors directeur du musée océanographique de Monaco, pour lui demander quelles études je devais faire ». C’est son directeur adjoint qui répondra à la mère du jeune garçon en l'orientant vers un service d'information scolaire à Nice. 

Déterminé, Jean-Pierre Gattuso suit le chemin académique classique, faisant un bac scientifique, puis des études à l’université de Nice et à celle de Marseille, avec une spécialisation en océanographie biologique. « Je suis retourné à Nice ensuite pour mon stage de master et ma thèse ». Une thèse qu’il effectue sur les coraux tropicaux et grâce à laquelle il part en mission en Arabie Saoudite et en Jordanie. « J’ai toujours trouvé les coraux particulièrement beaux, même si avant ma première mission en mer Rouge, je ne les avais vus qu’à travers l’écran de ma télévision. » 

L’âme d’un voyageur 

Jean-Pierre Gattuso a toujours eu le désir d'explorer le monde et de travailler à l'étranger. Pour son post-doctorat, il s’envole en Australie, direction l'Institut des sciences de la mer à Townsville, ville qui accueille par ailleurs l'université James Cook réputée pour ses programmes de formation en sciences océaniques et l'autorité portuaire qui gère la grande barrière de corail. « Quand j'ai reçu le coup de téléphone à 5 h du matin m’annonçant que j’étais pris, j'étais si heureux. À l'époque, cet institut, c'était la Mecque des scientifiques qui travaillaient sur les récifs coralliens », se remémore le chercheur. Jean-Pierre Gattuso y restera deux ans avec toutefois en tête un objectif : entrer au CNRS. « Intégrer le CNRS sans post doc, c'était presque mission impossible. J’ai dû faire quelques allers-retours France - Australie pour défendre ma candidature et passer devant les membres du jury. » 

De retour en France, et désormais affilié au CNRS, il est affecté dans l’un des plus grands laboratoires sur les récifs coralliens, à Perpignan. « Ce labo avait une station de recherche à Moorea, en Polynésie française. J’ai pu aller faire de nombreuses missions là-bas. »
C’est aussi à cette époque, à la fin des années 1980, que la communauté scientifique s’interroge sur le rôle des récifs coralliens dans le cycle du carbone. « Étaient-ils des puits ou des sources de CO2 pour l'atmosphère ? Ce sujet divisait… À Moorea, on a eu la chance de faire les premières mesures de flux de dioxyde de carbone qui ont démontré que sur un cycle de 24 h et en différentes saisons, les récifs coralliens émettent du CO2 vers l’atmosphère ! ». 

Au milieu des années 1990, Jean-Pierre Gattuso décide de rejoindre le Centre scientifique de Monaco, où il a l’opportunité de monter sa propre équipe de recherche, toujours sur son domaine de prédilection : les coraux. Pendant cinq ans, ses missions de recherche l’amèneront notamment à se rendre en Australie et au Japon.
Mais, à l’aube du millénaire, le chercheur souhaite plus de stabilité et moins de déplacement dans de lointaines contrées.
« Évidemment, c’était difficile et coûteux, en étant en France, de travailler sur les coraux. Il faut avoir des projets bien dotés pour pouvoir partir et faire des missions. Alors, j’ai décidé de changer de domaine de recherche afin de pouvoir rester dans l’Hexagone ! ». Il quitte Monaco et choisit d’être affilié à l’Institut de la Mer de Villefranche-sur-Mer, sous la double tutelle du CNRS et de Sorbonne Université. Jean-Pierre Gattuso concentre désormais ses travaux sur le cycle du carbone dans les écosystèmes tempérés en Méditerranée, en mer du Nord, au Danemark ou en Belgique.

Mais chassez le naturel… « En 2004, je suis allé approfondir mes recherches aux États-Unis : six mois dans une université du New Jersey et sept autres dans un centre de recherche du Colorado. » Quelques années plus tard, il fera également plusieurs missions à Ny-Ålesund, village scientifique international le plus au nord de la planète.

Sensibiliser les décideurs 

Ses travaux l'ont conduit à s'impliquer au sein du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), où il a participé activement à la rédaction de rapports essentiels sur le changement climatique et les solutions fondées sur l'océan. En tant que co-auteur du 5e rapport et auteur coordinateur du rapport de 2019, ainsi que contributeur au rapport sur le réchauffement de 1,5 °C publié en 2018, Jean-Pierre Gattuso a joué un rôle crucial dans la sensibilisation des décideurs politiques sur l'urgence de la crise climatique.
« C'est beaucoup de travail, mais c'est extrêmement enrichissant. On apprend tellement au contact d'autres collègues. On a aussi l'impression de faire quelque chose d’utile pour la société, même si dans les faits, le GIEC produit de nombreux rapports qui n’infléchissent pas beaucoup la stratégie des gouvernements et du secteur privé. »

À quelques années de la retraite, Jean-Pierre Gattuso qui prévoit de devenir chercheur émérite, veut rester impliqué dans la recherche océanographique. Son gros projet à venir ? La co-présidence d'une conférence scientifique internationale, organisée par le CNRS et l'Ifremer, qui aura lieu à Nice en 2025, juste avant la conférence des Nations Unies sur l'océan, co-organisée par la France et le Costa Rica. 
Cette conférence vise à fournir aux chefs d'État et de gouvernements une liste de recommandations basées sur les dernières avancées scientifiques pour la protection et la mise en œuvre de solutions en faveur de l'océan. « En tant que chercheur, je suis convaincu de l'importance de jouer un rôle de passeur de connaissances auprès du grand public et des décideurs. Les défis environnementaux sont urgents, et nous devons être des vigies attentives, soulignant les problèmes, mais aussi proposant des solutions. »

Malgré les obstacles rencontrés, Jean-Pierre Gattuso reste animé par une passion débordante pour son travail. « J’ai une chance immense de faire ce qui me plaît. C'est un métier passion, sans aucun doute. Entre la recherche sur le terrain ou dans un labo, l’encadrement de jeunes chercheurs, l’analyse des résultats, la rédaction de publications, la communication de nos avancées… On ne s’ennuie jamais ! »

Jean-Pierre Gattuso ou comment la fascination pour un héros de jeunesse peut façonner une vie et devenir le moteur d'une carrière scientifique dévouée à la protection des océans et à la lutte contre le changement climatique.