Morgane Ratin
Ingénieure de recherche à la Station biologique de Roscoff
Avec les expéditions Tara, je participe à mon échelle et en toute humilité à l’exploration des océans.
Un pied dans un labo, un pied dans un bateau. Cette phrase pourrait résumer à elle seule la vie de chercheuse de Morgane Ratin, ingénieure de recherche CNRS à la Station biologique de Roscoff (CNRS/Sorbonne Université).
Son attrait pour les mers et les océans ne date pas d’hier. Morgane Ratin a grandi loin du tumulte des grandes villes, sur le littoral breton. « J’ai toujours aimé la nature. Quand j’étais petite, ma famille avait des chevaux. Nous passions aussi la majorité de nos vacances en bord de mer et souvent, à Roscoff. Très vite, j’ai développé un intérêt pour l’écologie et les sciences marines », se remémore-t-elle. Si les cours de science n’étaient pas forcément sa tasse de thé au collège, cela a vite changé lorsque, au lycée agricole de Morlaix, elle rencontre de « super professeurs » qui l’éveillent à la biologie. « En Terminale, j’ai alors opté pour une filière scientifique avec option écologie, agronomie », précise-t-elle.
Son bac S en poche, la Bretonne s’oriente vers un IUT génie biologique, puis un IUP et un DESS génétique et gestion de la biodiversité qu’elle étudie à Sorbonne Université, ex-Paris VI. « Je suis partie de Morlaix pour aller à Quimper, Rennes et Paris, puis retour en Bretagne où j’ai fait mon stage de fin d'études sur les algues brunes à la station de Roscoff. » À l’époque, elle ne le sait pas encore, mais c’est précisément là-bas, dans les murs du centre de recherche et d’enseignement de biologie marine roscovite, qu’elle poursuivra la grosse majorité de sa carrière.
Après l’étude des algues brunes, Morgane Ratin planche sur des sujets aux antipodes : les tumeurs cérébrales qu’elle étudiera au cours d’un contrat à l'université de Bretagne Occidentale, et le criblage de composés susceptibles de bloquer l'activité d'une enzyme cible putative, afin de développer des médicaments contre le paludisme. « Ce qui est bien avec notre métier, c'est qu’on se constitue une sorte de boîte à outils qu'on adapte aux différents modèles et sujets sur lesquels on travaille », s’enthousiasme la chercheuse.
Spécialisée en biologie moléculaire et génétique microbienne, Morgane Ratin travaille actuellement sur Synechococcus, un genre de cyanobactérie marine. Cet organisme phytoplanctonique participe via la photosynthèse à la production d’oxygène par les océans. « Avec les chercheurs de mon équipe, on travaille sur l’écologie, la physiologie, la diversité génétique de Synechococcus. Pourquoi est-ce que Synechococcus se développe dans certaines zones plutôt que d’autres, par exemple. Certaines souches sont même capables d'adapter leur pigmentation à la couleur de l'eau tels des caméléons en activant un gène qui va synthétiser une enzyme fixant un pigment pour capter le bleu. C'est passionnant ! »
De la recherche fondamentale, donc. Mais pas seulement ! Morgane Ratin travaille aussi sur l’aspect vulgarisateur de ses recherches. « Au-delà du travail au laboratoire, c'est important de faire passer des messages. Cela fait partie intégrante de notre travail. Il m’arrive ainsi de me rendre dans les écoles pour faire de la médiation scientifique. On se rend compte que même en maternelle, les enfants sont déjà sensibilisés à ces thématiques environnementales. »
À bord de Tara
Si ces travaux de labo sont son lot quotidien, Morgane Ratin aime aussi prendre le large, loin de sa paillasse. « Je travaille avec des chercheurs qui sont à l'écoute, qui savent que c'est important pour moi de partir, de temps en temps, pour des missions à l’étranger », explique-t-elle.
En 2017 et 2021, elle est ainsi montée à bord de la goélette de la fondation Tara Océan. « Deux expériences fabuleuses », selon ses dires. La première campagne Tara Pacific s’intéressait aux récifs coralliens et à leur état de santé. Pendant six semaines, dans les eaux du Pacifique Sud, entre Sydney et Nouméa, Morgane Ratin et toute l’équipe de recherche ont géré l’échantillonnage à l’aide de filets, de filtres aux tailles de mailles bien définies. « Ces prélèvements ont ensuite été envoyés dans différentes équipes de recherche qui séquencent l’ADN des organismes récoltés. Cela nous a permis de savoir de quoi sont composées les barrières de corail, et de comprendre si ces organismes peuvent s’adapter au changement climatique en cours. »
Pour la deuxième campagne, en décembre 2021, direction l’Amérique du Sud, le long du tombant du plateau continental argentin, pour étudier le microbiome océanique. « Mon travail et celui de l’équipe avec laquelle j’étais étaient de cibler les coccolithophores qui forment des floraisons massives visibles depuis l’espace. On appelle cela les blooms. L’idée était de suivre cette espèce planctonique et de se laisser dériver avec elle. » La goélette de Tara a quitté Buenos Aires le 4 décembre 2021 pour arriver à Ushuaïa (Argentine) le 28 du même mois. « J’ai passé les fêtes de fin d’année sur le bateau ! », s’amuse la scientifique.
Ce qui lui plait dans ces expéditions hors normes ? « La première chose, c'est le bateau, le mythe Tara. Ensuite, c'est son histoire, c'est Jean-Louis Étienne. C'est fou de savoir tout ce qui s'est passé sur cette goélette, toutes les personnes qui sont montées à bord », explique-t-elle avant de poursuivre : « Avec ces expéditions, je participe à mon échelle et en toute humilité à l’exploration des océans. »
Jamais deux sans trois ? L’ingénieure de recherche a déposé sa candidature pour contribuer à la prochaine expédition. « En plus de participer aux manœuvres avec les marins, on apprend beaucoup sur soi lors de ces missions. » Morgane Ratin l’affirme, elle a la vie dont elle rêvait petite avec un parfait équilibre travail-famille. « Certes, comme pour tout métier, il faut de l’organisation, un cadre. Mais en parallèle, j’ai aussi une certaine liberté dans la recherche, c’est un vrai plus ! », conclut-elle ravie.