Raphaël Guttières
Coordinateur scientifique de l'Institut de transition environnementale
Le projet de plateforme me permet de réaliser mon ambition première : celle de pouvoir agir sur les causes de problème via la formation, l'éducation des consciences
Raphaël Guttières a fait de l’environnement et la transition écologique son cheval de bataille. Après un doctorat dans l’école doctorale Sciences de la nature et de l’homme : évolution et écologie, il s’est engagé dans l’Institut de la transition environnementale à l’invitation de l’un de ses deux anciens directeurs de thèse : Luc Abbadie.
Pouvez-vous nous retracer votre parcours ?
Raphaël Guttières : J'ai suivi tout mon cursus à Sorbonne Université jusqu’à ma thèse que j’ai faite à l’IEES Paris (Institut des sciences de l’environnement et de l’écologie de Paris), encadré par Luc Abbadie et Gérard Lacroix. J’ai soutenu en septembre 2018. L’étincelle de mon engagement pour l’environnement, je la dois à Al Gore, lorsque j’ai vu à 16 ans le film Une vérité qui dérange. À 18 ans, conscient que tous ces problèmes environnementaux n’étaient que des symptômes, des conséquences du rapport de l’Homme à la Nature, à l’Autre, au Bonheur, etc, je me suis logiquement dirigé vers des études de philosophie à la Sorbonne, mais la perspective de devenir professeur, avec un potentiel impact très loin de l’ampleur des enjeux à traiter, m’a beaucoup refroidi. Je me suis donc réorienté en biologie pour servir les mêmes enjeux et cette extrême complexité des processus et rétroactions à toutes les échelles m’a passionné et profondément épanoui. Cependant, j’ai toujours nourri une certaine amertume : celle de traiter désormais les symptômes du problème, pas la cause primordiale, et donc avoir le sentiment de participer à concevoir des rustines écologiques pour rafistoler un système malade, sans pouvoir modifier le système lui-même.
Quel était votre sujet de thèse ?
R.G. : Mon sujet d’écologie et biogéochimie traitait du « priming effect », un des processus qui influent la dynamique de la matière organique dans les sols et dans l’eau. Le mécanisme de priming effect correspond à l’augmentation ou la diminution de la vitesse de minéralisation de la matière organique difficile à dégrader suite à l’ajout de matière organique facilement dégradable, donc in fine, à la capacité du système à stocker du CO2 atmosphérique ou au contraire à en émettre davantage, à plus ou moins long terme. L’objectif de ma thèse était de tester l’impact des changements globaux sur ce processus, à la fois dans les écosystèmes terrestres et aquatiques. Le priming effect peut avoir des conséquences significatives sur le changement climatique, sa modélisation et sur des pratiques en agroécologie.
Qu’avez-vous entrepris à la sortie de thèse ?
R.G. : À l’issue de ma soutenance de thèse, un membre du jury m’a proposé un post-doc passionnant à l’université de Zurich sur le permafrost et le changement climatique. Il s’agissait de faire des campagnes d’échantillonnages dans l’Arctique et de travailler en France, avec un salaire suisse d’environ 7 000 euros net par mois dans une équipe de recherche d’excellent niveau - le rêve. Pourtant j’ai finalement refusé : depuis le début de mes études, mon objectif a toujours été de travailler sur des solutions concrètes aux changements globaux, or ce post-doc, si passionnant eut-il été, n’aurait servi qu’à affiner un peu plus les prédictions d’une catastrophe que l’on connaît déjà très bien. C’est sur des solutions que je voulais travailler : les freins, les airbags... pas à préciser l’angle du crash.
À la place, je suis devenu le directeur scientifique et innovation du projet Hectar, un projet de transition agroécologique et énergétique dont l’ambition était de montrer que la transition vertueuse et rapide est possible sur une grosse exploitation agricole (600ha). L’expérience a été très formatrice sur bien des aspects, mais j’ai quitté le projet au bout de deux ans, en septembre 2021, car la dimension business de ma mission prenait de plus en plus de place, aux dépens des aspects scientifiques. À ce moment-là, beaucoup d’opportunités intéressantes m’ont été proposées, notamment avec plusieurs start-ups sur le stockage du carbone. Et mon ancien directeur de thèse, Luc Abbadie, m’a proposé d’être le coordinateur scientifique de l’Institut de transition environnementale, qui existe depuis 2017 et qu’il a dirigé jusqu’en 2022.
Parlez-nous de cette mission.
R.G. : En fait, sur ce poste, il y a plusieurs missions : la conception et coordination d’une plateforme, l’expertise-conseil auprès de collectivités et l’élaboration de formations pour la transition environnementale.
Tout d’abord, je coordonne la mise en place d’une plateforme de recherche-action participative et collaborative à destination des étudiantes et étudiants qui souhaitent s’engager dans la transition en mettant à profit leurs connaissances individuelles et collectives. Cette plateforme est interdisciplinaire, dans le cadre de l’Alliance Sorbonne Université et de 4EU+. Ce sera un espace de travail collaboratif international sur la transition environnementale. Sa conception elle-même est pensée de manière collaborative, avec notamment les étudiantes et étudiants de master de langue pour traduire le site ou encore celles et ceux du CELSA pour à l’élaboration de tutoriels, de vidéos et du plan de communication.
Par ailleurs, avec mon amie et collègue rhumatologue Marine Sarfati, nous avons développé un module faisant le lien entre transition environnementale et santé, obligatoire et national pour les étudiantes et étudiants en médecine et à terme dans les autres filières de santé. Il vient d’ouvrir au 1er février 2023. C’est un court module numérique d’introduction de 6 h de vidéos (15-25 min). Il devrait être prochainement ouvert à n’importe qui sur les plateforme UNESS et FUN MOOC. Nous avons presque tout fait : élaborer la structure générale du module mais aussi des cours, déterminer les thématiques, identifier les intervenants, fait certains montages vidéos, organiser et animer des tables rondes, gérer la chaîne YouTube qui héberge les vidéos, organiser son déploiement dans chacune des facultés de France, etc...Ce projet a été extrêmement satisfaisant pour moi, car il m’a permis de réaliser mon ambition première : celle de pouvoir agir sur les causes du problème via la formation, l’éducation des consciences.
Le troisième volet consiste dans le conseil et l’accompagnement à la transition, notamment auprès de l’association des « Maires pour la planète ». Les maires ne sont pas armés pour répondre aux questions de transitions. Je leur apporte des conseils sur différentes thématiques, notamment en tant que chercheur en agroécologie mais surtout grâce à mon expérience professionnelle dans ce milieu de la transition agroécologique et énergétique.
Comment voyez-vous l’avenir ?
R.G. : Mon contrat à l’Institut de la transition environnementale vient d’être reconduit pour 1 an, c’est une situation plutôt précaire, mais les projets sur lesquels je travaille sont fortement chargés de sens, ce qui compense la précarité du poste, ainsi que le niveau de salaire - du moins pour le moment.
J’ai aussi d’autres pistes que je pourrais explorer, je suis régulièrement contacté par des sociétés et start-ups pour y travailler. Notamment devenir directeur scientifique d’une start-up en agroécologie, ce qui serait d’ailleurs un poste tout à fait compatible en théorie avec le poste que j’occupe actuellement car j’y serait associé et non salarié. Je peux également me lancer dans le conseil, l’expertise.
Enfin, sur mon temps libre, je continue à publier sur mon travail de thèse.
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