Sébastien Wolf
Docteur en physique et guitariste de Feu! Chatterton
La science et l’art sont deux façons de saisir le monde.
Guitariste du célèbre quintette parisien Feu! Chatterton, Sébastien Wolf est aussi un alumnus de Sorbonne Université. Il nous dévoile son parcours pluridisciplinaire entre musique, physique, philosophie et neurosciences.
Le dernier confinement s’achève et un vent nouveau souffle sur le cinquième arrondissement de Paris. Veste bleue, chemise à fleurs, style dandy des temps modernes, Sébastien Wolf s’installe à la terrasse fraîchement rouverte d’un bar de la Montagne Sainte-Geneviève. Il sort de l’École Normale supérieure où il vient de finir ses manips. Trois ans qu’il y travaille.
C’est dans ce quartier, siège de l’excellence académique et de l’épicerie fine, que cet alumnus de Sorbonne Université a rencontré au début des années 2000 ses compagnons de route. Élève du prestigieux lycée Louis-Le-Grand, il créé avec le guitariste Clément Doumic un groupe de rock progressiste. Après les cours, ils lisent Lautréamont, façon Cercle des poètes disparus et rencontrent le futur chanteur Arthur Teboul déjà versé dans l’écriture. Le trio s’exerce et attire à lui le bassiste Antoine Wilson et le batteur Raphaël de Pressigny. Le quintette prend forme et Feu! Chatterton nait en 2011. La suite, on la connait : nomination aux Victoires de la Musique, deux disques d’or et un succès qui ne se dément pas.
Cola et café, Sébastien Wolf commande de quoi tenir la journée pour assurer ses multiples casquettes : père de famille, musicien, physicien, neuroscientifique… Un éclectisme qu’il cultive depuis l’enfance. Entre microscope et guitare, ses parents, sociologues, lui inculquent très tôt le goût pour l’analyse des phénomènes et l’incitent à voir les sciences comme une construction historique de la pensée humaine. Fasciné dès petit par le formalisme mathématique, il entretient un intérêt certain pour les sciences humaines. Il mène de front ses études de physique à l’ENS, une licence de philosophie des sciences à Sorbonne Université, puis un master d’anthropologie à l’EHESS. Développer un regard critique, se former à l’histoire des sciences et à l’éthique est, pour lui, essentiel quand on fait de la recherche. « Surtout en neurosciences », insiste-t-il. Un domaine qu’il a abordé en thèse en 2014, au laboratoire Jean Perrin (Sorbonne Université/CNRS). À l'interface entre la biologie et la physique, il développe, pendant son doctorat, un microscope optique, puis s’intéresse aux mécanismes cérébraux. « Je travaillais sur les bases neurales de la navigation chez le poisson-zèbre, explique-t-il. J’ai eu beaucoup de chance. Mon projet a bien marché et j’ai eu de belles publications. Je le dois à mon directeur de thèse, Georges Debregeas, qui a compris ma manière de travailler et m’a fait confiance. »
Du laboratoire à la scène
Mais pour réussir, Sébastien Wolf a également dû jongler entre ses recherches et la médiatisation grandissante du groupe. Alors il s’organise : manips au labo en début de semaine et analyse de données dans l’anonymat des chambres d’hôtel. « Les tournées, c’est presque la phase la plus simple, précise-t-il. C'est beaucoup de voyages et de journées où l’on n’a rien à faire avant les concerts. Le plus difficile, c’est les moments de composition et les phases où l'on est en train d'écrire l'album en studio. » Des moments qui nécessitent de s’isoler pendant plusieurs semaines pour développer une attention particulière. « Cette concentration mentale est indispensable pour qu’advienne le moment de grâce, de connexion entre la parole, la mélodie, la voix du chanteur et la musique. C'est là que quelque chose de magique se passe et va donner toute la sève au travail de plusieurs années. C’est presque mystique », confie le musicien.
Ces moments d’épiphanie, il les retrouve dans la recherche quand il découvre, par exemple, en thèse un réseau de neurones très prometteur : « C’est la même sensation, sauf que ces moments sont moins courants en science qu'en musique et demandent plus d'effort. La science et l’art sont deux façons de saisir le monde. La différence, c’est qu’en science, il y a toujours un chemin à suivre, un enchainement logique, alors que dans l'art il n'y a pas forcément de méthode. Il faut être en alerte », sourit-il en grillant une cigarette.
L’art et la science, les deux faces d’une même médaille
Alors allier ces deux approches, ces « deux endroits » comme il aime à dire, sonne pour lui comme une évidence. « Financièrement, je pourrais arrêter la recherche, mais j'aime la science autant que la musique », observe-t-il. Au départ, ce n’était pas si simple.
Le laboratoire a été, pendant ma thèse, un endroit protégé. Venir faire mes manips dans une salle noire, loin du monde, m’a permis de mettre à distance la pression liée au succès, au disque d’or et au fait de jouer devant des milliers de personnes.
En thèse, il parlait peu de Feu! Chatterton dans le labo de peur que ses condisciples le considèrent comme un scientifique du dimanche. Mais en discutant avec quelques sommités de son domaine, il se rend compte que, loin d’être une tare, son activité parallèle peut au contraire constituer sa force : « Faire de la science est tellement difficile, il y a tellement de déconvenues, qu’avoir autre chose qui nous tienne à côté permet de prendre du recul vis-à-vis de la pression des publications, des postes et du stress qui finissent par envahir notre rapport à la science », observe-t-il. Mais ce constat fonctionne aussi dans l’autre sens : « Le laboratoire a été, pendant ma thèse, un endroit protégé, assure-t-il. Venir faire mes manips dans une salle noire, loin du monde, m’a permis de mettre à distance la pression liée au succès, au disque d’or, au fait de jouer devant des milliers de personnes.»
De la scène à l’estrade
Aujourd'hui, le jeune homme de 34 ans poursuit son post-doctorat à l’ENS avec discrétion. Doué d’ubiquité, il partage son temps entre deux laboratoires et deux approches : l’institut de Biologie et le laboratoire de Physique Théorique. L’occasion pour lui de se former à l'utilisation du machine learning et des outils de modélisation moderne, tout en gardant une activité expérimentale en neurosciences. Dans son projet de recherche actuel, la dimension musicale n’est plus si loin : il travaille sur le cortex auditif et étudie comment le niveau attentionnel change la façon dont le cerveau perçoit les sons. Il explique ses manip. L’œil vif. Il parle vite et clair et nous laisse entendre son plaisir d’enseigner. Il donne d’ailleurs des cours en doctorat et en écoles d'été, et réaffirme son envie de transmettre. Si tout se passe comme il le souhaite, il tentera bientôt le concours d’enseignant-chercheur ou de chargé de recherche ; prochain temps fort de sa carrière.
Mais avant, il a rendez-vous avec ses acolytes poètes et visionnaires, sa « deuxième famille », à l’église Saint-Eustache pour chanter l’avènement d’un monde nouveau, ou presque. Leur dernier album, Palais d’argile, qui entre en résonance avec la crise mondiale, avait pourtant été écrit bien avant la pandémie. Sac sur le dos, sourire aux lèvres, le trentenaire enfourche son vélo et dévale les ruelles de la Montagne Sainte-Geneviève. Le temps file et le premier concert post-confinement va bientôt commencer.