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La mécanique des fluides à l’épreuve des enjeux climatiques, industriels et sociétaux

 De la prédiction pour prévenir les risques.

Récipiendaire de l’ERC Advanced Grant, Stéphane Zaleski est professeur des universités à Sorbonne Université(1). Il mène ses recherches au sein de l’Institut Jean Le Rond d'Alembert (DALEMBERT), unité mixte de recherche de Sorbonne université et du CNRS dont le projet scientifique réunit des spécialistes en Mécanique des Fluides et des Solides, Acoustique et Énergétique. D’Alembert a pour objectif de réunir et d’allier les apports de méthodes d’ingénierie, de la modélisation physiques des phénomènes et de l’optimisation des méthodes de calcul et de simulation pour aborder les problèmes rencontrés dans les différentes composantes de l’activité humaine : compréhension du corps humain, analyse des constructions techniques, interaction avec l’environnement, modélisation des interactions sociales.

Au sein de l’équipe Combustion, Énergies Propres et Turbulence (CEPT), Stéphane Zaleski développe des méthodes numériques adaptées à l'étude des milieux multiphasiques, que ce soit sous l’angle des phénomènes d’écoulement (par exemple, des jets d’atomisation), des problèmes de transfert de masse ou de changement de phases. De tels problèmes sont à la fois banals et complexes et se rencontrent dans le contexte médical et dans les situations d’écoulement dans des milieux poreux.

Plus récemment il a abordé l’apprentissage automatique de méthodes numériques ainsi que des méthodes implémentées dans des codes libres en collaboration avec des sociétés d'ingénierie.

Nous avons échangé avec lui au sujet de l’ERC Advanced qu’il vient d’obtenir. 

Quelle est la nature des recherches que le prestigieux ERC Advanced Grant que vous venez d'obtenir vous permettra de mener ?

Stéphane Zaleski : Le projet TRUFLOW, « Transferts aux petites échelles dans les écoulements turbulents multiphasiques »(2) vise à étudier des échanges de chaleur et de masse afin de prédire ces phénomènes. En guise d’exemple de ces transferts dits « de masse », nous pourrons évoquer le passage du dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère à l’océan. L’étude de la masse de ce composé transféré nous permet aujourd’hui de prédire le climat. Traitée sous le prisme de la simulation numérique, la prédiction de ces transferts constitue un défi énorme, à la fois d’une importance majeure mais aussi d’une difficulté considérable.

L’objectif du projet est de prédire de façon quantitative et donc précise les transferts de masse et de chaleur dans les écoulements. Cette prédiction passe par l’utilisation d’outils mathématiques (la simulation), de machines très performantes (les supers calculateurs) et des méthodes multi-échelles qui permettent d’aborder les processus de l’infiniment petit à l’infiniment grand.

Pourriez-vous partager avec nous quelques défis sociétaux auxquels vos recherches peuvent contribuer ?

S. Z. : Les transferts de masse et de chaleur interviennent dans la plupart des processus industriels, en particulier ceux relevant du génie industriel ou du génie des procédés. Dans le contexte actuel du changement climatique, un procédé industriel qui serait capable d’extraire le dioxyde de carbone CO2 de l’atmosphère et de le stocker dans un bocal présenterait un intérêt certain. Or, un tel procédé ferait appel, de nouveau, à des processus de transfert de masse. 

L’idée est d’explorer ces phénomènes en nous basant sur une combinaison adéquate et solide des méthodes qui existent actuellement afin d’établir des codes et méthodes numériques pertinentes.

Prenons par exemple la mise en place de nouveaux procédés de capture de carbone dans le contexte de la sidérurgie et de la métallurgie basée sur l’hydrogène. En remplaçant le charbon par l’hydrogène, le produit final, au lieu d’être du CO2, serait de l’eau, ce qui réduirait l’effet de serre. De même, avec les piles à combustible ou à hydrogène, il est possible d’avoir des véhicules dont le stockage d’énergie se ferait par hydrogène. Or, dans les cellules à hydrogène les transferts de chaleur et de masse (vapeur d’eau) sont fondamentaux. Enfin, autre phénomène important, l’ébullition : c’est l’ébullition d’un liquide qui permet le plus rapidement de refroidir une surface surchauffée. En améliorant notre compréhension de l’ébullition, on peut aussi améliorer notre compréhension du refroidissement de certains processus et les optimiser.

Comment l’idée du projet vous est-elle venue ? 

Je voulais explorer l’utilité de mes recherches au-delà de la pure curiosité scientifique ou de l’esthétique des gouttes et des bulles

S. Z. : Au début, un de mes premiers axes de recherche, il y a 20 ans, concernait les phénomènes liés aux moteurs de fusée comme ceux de la fusée Ariane, et en particulier les phénomènes liés à la formation de gouttelette d’oxygène liquide. J’ai pu étendre petit à petit ces questionnements à d’autres domaines.

C’est une continuité dans mon parcours de physicien :  je m’intéresse depuis longtemps aux interfaces fluides, aux phénomènes de gouttes et de bulles. Ces phénomènes se retrouvent dans de nombreuses situations : par exemple à la surface des océans, les échanges de chaleur avec l’atmosphère, permettant à la fois à l’océan de se refroidir ou de se réchauffer, se réalisent justement grâce à de petites gouttelettes qui émergent à la surface et à de petites bulles qui s’enfoncent en dessous.

Ces Advanced Grants sont particulièrement sélectifs et il faut souvent plusieurs tentatives pour décrocher le Sésame, cela a-t-il été le cas pour vous ?

S. Z. : J’ai été persévérant et je me suis porté candidat à plusieurs reprises. J’ai considérablement modifié le projet initial et le projet qui vient d’être sélectionné est à certains égards complètement nouveau. L’obtention d’une décharge complète d’enseignement à la faveur d’un congé pour recherche et conversion thématiques (CRCT) m’a permis de me consacrer pleinement à ce projet. La Faculté des Sciences et Ingénierie et Sorbonne Université ont mis en place tout un ensemble de mesures à destination des enseignants-chercheurs pour les accompagner dans la préparation de projets européens. Ce sont des opportunités qu’il ne faut pas hésiter à saisir.

 


(1) Seul professeur des universités parmi les 21 lauréats français de l’ERC Advanced Grant 2019 il a su concilier ses activités d’enseignements et de recherche pour obtenir cette prestigieuse distinction.

(2) TRansfers at tiny scales in tUrbulent multiphase FLOW, voir résumé du projet, Actualité "ERC Advanced Grant".