Modèle d’un noyau de levure avec un filament Rad51. Les chromosomes sont en jaunes, le nucléole en blanc, le filament Rad51 et la séquence homologue sont lumineux. © Henrik Dahl Pinholt
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Une protéine-clé pour la réparation de l’ADN observée chez la levure

Pour la première fois, des chercheurs de l’Institut Curie, dirigés par le Dr Angela Taddei, directrice de l'unité de recherche Dynamique de noyau, ont mis en évidence l’un des mécanismes cellulaires qui entrent en jeu lors du phénomène de réparation de l'ADN.

Article rédigé par l'Institut Curie.

Notre ADN est naturellement abîmé et réparé chaque jour. Pour la première fois, des chercheurs de l’Institut Curie, dirigés par le Dr Angela Taddei, directrice de l’unité Dynamique du noyau et cheffe de l’équipe Compartimentation et dynamique des fonctions nucléaires, ont mis en évidence l’un des mécanismes cellulaires qui entrent en jeu lors de ce phénomène.

Leur découverte, publiée dans la revue Nature Structural & Molecular Biology, permet non seulement de l’observer à l’œuvre in vivo, de comprendre comment il agit, mais aussi d’espérer s’en servir pour de futurs traitements ciblant les cellules cancéreuses.

Divers facteurs environnementaux, comme les ultra-violets, ou endogènes, comme la réplication du génome, entraînent chaque jour des cassures double-brin dans notre ADN. Or celles-ci peuvent entraîner la mort de la cellule ou provoquer des instabilités génétiques à l’origine de cancers. Heureusement, la recombinaison homologue est l’un des outils permettant à nos cellules de réparer ces cassures : elle consiste à chercher dans les chromosomes une séquence identique à celle qui s’est cassée pour la recopier.

"La difficulté est que la séquence homologue se trouve noyée dans des milliers de séquences au sein du noyau et peut être éloignée de plusieurs micromètres de celle à réparer", souligne le Dr Angela Taddei, directrice de l’unité Dynamique du noyau (CNRS UMR3664 / Sorbonne Université) et cheffe de l’équipe Compartimentation et dynamique des fonctions nucléaires (CNRS UMR3664 / Sorbonne Université). La repérer n’est donc pas si simple… et jusqu’ici, personne ne savait comment procédaient exactement nos cellules.

Une première étude in vivo de Rad51

De précédentes études avaient bien révélé le rôle d’une protéine : Rad51. Celle-ci s’associe à l’ADN simple brin généré au niveau de la cassure pour former un filament nucléoprotéique. Mais ces filaments n’avaient pu jusqu’ici être étudiés qu’in vitro, car le marquage fluorescent de Rad51 la rendait non-fonctionnelle. Heureusement, le Dr Angela Taddei et son équipe, en collaboration avec le Dr Raphaël Guerois, du CEA (Commissariat à l’énergie atomique), et le Dr Leonid Mirny, du Massachussetts Institute of Technology (Boston, USA), titulaire en 2021-2022 d’une chaire d’excellence internationale Blaise Pascal qui lui a permis d’être accueilli à l’Institut Curie, viennent de réussir à contourner cet obstacle.

"La clé a été de prendre en compte à la fois la structure de la protéine et son évolution : la séquence du gène codant pour une zone précise de Rad51 a naturellement subi de nombreuses altérations au cours du temps, sans pour autant empêcher la protéine d’agir. Nous l’avons donc modifiée pour rendre la protéine fluorescente, tout en la gardant fonctionnelle", révèle le Dr Angela Taddei.

Les filaments de Rad51 tâtonnent dans le noyau

Ce premier exploit a permis aux chercheurs d’observer in vivo l’action de Rad51 lors d’une cassure double-brin chez la levure de boulanger, un organisme unicellulaire simple à contrôler. Et, contrairement à l’hypothèse commune, qui voulait que la protéine ne compte que sur les mouvements naturels des chromosomes pour rencontrer la séquence homologue recherchée, ils se sont aperçus que Rad51 est très active. Car non seulement, le filament qu’elle forme avec l’ADN simple brin peut atteindre plusieurs micromètres de long, et ainsi être en contact simultanément avec de nombreuses séquences d’ADN, mais en plus, il s’étend et se contracte régulièrement, à la manière d’un yo-yo. Et chaque cycle de contraction et d’extension lui permet de s’étendre dans une nouvelle direction et d’explorer une nouvelle zone du noyau. En deux heures, la séquence homologue est repérée et la réparation peut avoir lieu.

"Au départ, nous avions du mal à croire ce que nous observions", admet le Dr Angela Taddei. Seuls de nombreux contrôles basés sur la génétique ont pu nous convaincre. La collaboration avec Leonid Mirny nous a ensuite permis de démontrer par la modélisation biophysique que les mouvements du filament de Rad51 représentent une stratégie extrêmement efficace de recherche d’homologie au sein de la cellule." Cette découverte est ainsi réellement le fruit de la combinaison d’approches structurale, de microscopie, de génétique et de biophysique.

Les cellules tumorales, "accros" à la recombinaison homologue

Les scientifiques souhaitent à présent comprendre ce qui déclenche ces mouvements de contraction et d’extension et comment ils se produisent, mais ils ont d’ores et déjà déposé un brevet pour l’application de cette découverte fondamentale : "Être capable d’observer Rad51 in vivo nous offre la possibilité de cribler des molécules pour trouver celles qui perturbent son action, explique le Dr Angela Taddei. Celles-ci seraient très utiles contre certaines cellules cancéreuses, qui sont très friandes de recombinaison homologue."

Pour que cette éventualité se concrétise, les chercheurs doivent aussi démontrer que Rad51 fonctionne de la même manière chez les mammifères, et donc en créer de nouveau une version observable in vivo. Ce qui, dans des cellules plus complexes que celle de la levure sera forcément… plus complexe.

 


Références

S. Liu et al., In vivo Dynamics of Rad51 Filaments reveals a robust Homology Search Strategy, Nature Structural & Molecular Biology (2023).